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01 juin 2017

UNE START-UP POUR L’ALOUETTE OU COMMENT ASSURER LE DÉFI DE LA PÉRENNITÉ DES ANCIENNES GAMMES

Publié par Henri Delille, Directeur des Opérations et du Développement, DCI | N° 112 - Les voilures tournantes

Pour pallier les difficultés culturelles, techniques et commerciales liées au soutien d’une machine de plus de 50 ans, il fallait un modèle original : celui-ci fut développé au sein d’ALHWS.


En 2007, Airbus Helicopters, à l’époque Eurocopter, commençait à envisager d’externaliser le support d’un hélicoptère ancien célèbre : l’Alouette. La motivation était simple : dans les années 2000, fabriquer les pièces de rechanges et maintenir des centres de maintenance pour les réparations et les révisions d’une machine née dans les années 1950-1960, faire vivre un réseau commercial pour satisfaire les clients n’exploitant parfois que quelques machines, tout cela était devenu coûteux et consommateur de temps ; un temps qu’Airbus voulait plutôt consacrer aux modèles récents de sa gamme. Il s’agissait d’une idée assez révolutionnaire, car autant Airbus avait, de longue date, l’expérience des coopérations et des licences de fabrication à l’étranger (ce fut d’ailleurs le cas de l’Alouette avec les versions Cheetah/Cheetak fabriquées en Inde par HAL et aussi une autre version assemblée en Roumanie par ICA Brasov), autant jamais Airbus n’avait délégué la fabrication de toutes les pièces de rechanges à une société tierce.


L’ALOUETTE

Le premier vol du prototype Alouette II a eu lieu le 12 mars 1955, et en janvier 1956 commence la production en série de cet appareil; le premier vol de l’Alouette III a lieu le 28 février 1959. Près de 60 ans plus tard, ces appareils, ainsi que la version LAMA, volent toujours et sont plébiscités par leurs utilisateurs.
Ces appareils rustiques et fiables sont encore employés dans de nombreux pays et de nombreuses armées aussi bien en France qu’à l’étranger. Utilisées aussi bien pour du secours en mer ou en montagne, ses qualités de vol sont exceptionnelles et sont mises en avant par tous les opérateurs.
La Marine nationale met encore en œuvre une flotte de 13 Alouette SA 319 dont la disponibilité opérationnelle demeure toujours très bonne ; ces appareils côtoient maintenant les récents Caïman et Caracal.



Ce projet d’« externalisation » d’Airbus aura mis 7 ans à voir le jour. Il y avait, en effet, des obstacles notables à sa mise en œuvre. L’un d’eux fut, peut-être, un certain nombre de résistances internes au sein d’Airbus. Cependant, la difficulté la plus importante à surmonter était d’ordre réglementaire. En effet, la stricte réglementation aéronautique exige que les fabricants de pièces d’aéronefs soient agréés par l’administration (la DGAC et maintenant l’organisme européen EASA). Il faut donc que l’entreprise à qui serait transférée la responsabilité de fabrication des pièces Alouette obtienne un agrément spécifique, dénommé « PART 21 G », et cela potentiellement pour les quelques 1 500 pièces spécifiques à l’Alouette. L’obtention de cet agrément nécessite d’avoir déjà produit au moins une pièce de chaque référence (le fameux First Article Inspection, ou FAI, pour les connaisseurs de la réglementation EASA). La troisième difficulté était d’ordre commercial. Il s’agissait d’annoncer aux clients exploitant l’Alouette de ne plus s’adresser à Airbus, comme ils le faisaient depuis des décennies, mais à une nouvelle société totalement inconnue. Nous pouvons imaginer les réticences des clients… sans compter qu’il fallait aussi solder les commandes en cours, transférer les contrats existants… Dernière difficulté majeure : convaincre la centaine de sous-traitants d’Airbus qui fabriquent encore les pièces d’Alouette de travailler avec une société nouvellement créée et non plus avec le grand groupe qu’est Airbus.
A l’origine, le modèle qu’Airbus souhaitait promouvoir était de susciter l’association de plusieurs entreprises déjà impliquées dans le business de l’Alouette et qui gèreraient ensemble une plateforme logistique. Après plusieurs tentatives infructueuses en ce sens, le choix d’Airbus s’est porté en 2013 vers la proposition des sociétés Sofema et DCI qui proposaient de créer une entreprise ex nihilo, une start-up donc, entièrement affectée au projet. Le tandem Sofema – DCI réunissait plusieurs atouts qui se sont révélés essentiels pour le succès du projet : le réseau commercial de Sofema et les compétences techniques de DCI. Dès lors, à compter de l’automne 2013, le projet a enfin pu être déployé rapidement, surmontant tous les obstacles décrits ci-avant : mi-2014, les accords avec Airbus sont signés et la filiale commune Alouette Helicopter Worldwide Services – ALHWS – est créée dans la foulée à la Teste-de-Buch en Gironde ; en mars 2015 ALHWS sert son premier client et la société atteint son rythme de croisière et sa pleine indépendance en 2016. ALHWS a aujourd’hui créé 14 emplois, et gère un stock de plusieurs milliers de références avec un système d’information moderne et fournit sa cinquantaine de clients dans le monde entier dans le respect de son agrément EASA PART 21 G.


SOFEMA
est le leader national de la rénovation de plates-formes et d’équipements dont la production est aujourd’hui arrêtée, de l’approvisionnement et de la livraison de pièces de rechange et d’équipements, dans les domaines terrestre et aéronautique, militaire et civil. La société est détenue par les acteurs majeurs de l’industrie de défense parmi lesquels: Airbus, Safran, DCNS, Thales, Nexter, Dassault Aviation et Renault Trucks Defense.

DCI est l’opérateur de référence du ministère de la Défense pour le transfert du savoir-faire militaire français à l’international, au profit des armées de pays amis de la France. DCI peut se prévaloir du label « Formation armées françaises ». DCI propose des prestations sur-mesure de conseil, de formation et d’assistance technique. DCI, dont le siège est à Paris, dispose de plusieurs sites d’implantation sur tout le territoire national et est également implanté à l’étranger, notamment au Moyen-Orient et en Asie.


La vision d’Airbus est ainsi devenue une réalité : les exploitants de l’Alouette disposent maintenant d’une entreprise spécialisée entièrement dévouée à leurs machines. Leurs besoins sont pris en compte avec des relations de proximité et personnalisées de grande qualité. Si une pièce de rechange n’est pas en stock, ALHWS sait trouver l’industriel qui relancera la fabrication d’une petite série à un coût raisonnable. Ainsi, certains exploitants qui envisageaient la mise à la retraite de leurs Alouette à cause de la difficulté croissante de trouver des pièces de rechange et des réparateurs, trouvent aujourd’hui un intérêt à les maintenir en état de vol. Le modèle est tout à fait comparable à celui du monde des voitures de collection où des sociétés spécialisées ont émergé et permettent de redonner vie à des véhicules âgés de plus d’un demi-siècle en les restaurant et en les faisant rouler à nouveau. 
L’Alouette est une machine que l’on peut qualifier de « rustique » à l’aune des technologies d’aujourd’hui. La « refabrication » de la plupart des pièces ne pose généralement pas de problème d’obsolescence, sauf pour certaines (dont les pales) à cause, par exemple, de l’interdiction du procédé de fabrication pour des raisons environnementales, de toxicité des colles utilisées. 
Le coût de la conception et de la qualification d’une nouvelle pièce serait prohibitif pour les quelques centaines de machines encore en activité. C’est la raison principale qui conduira à l’horizon des années 2020 à la fin de vie des Alouette, à l’exception peut-être de rares machines appartenant à de riches collectionneurs américains. 

Le modèle économique d’ALHWS est donc très original, à l’inverse des canons habituels, puisqu’il s’adresse à un marché de « fin de vie » dont la durée utile n’excèdera pas 5 à 10 ans. Le modèle ne peut donc perdurer qu’en intégrant au fur et à mesure d’autres gammes anciennes postérieures. C’est tout l’enjeu de la pérennité d’ALHWS. Cette question est encore un objet de débat : « y-a-t-il réellement la place dans le paysage industriel pour un spécialiste des gammes anciennes dont ALHWS est le prototype (sans doute unique) ? » 

D’un côté, Airbus n’a pas vraiment d’intérêt à faire perdurer la durée de vie des hélicoptères de ses anciennes gammes au détriment de l’achat de modèles plus récents par les exploitants. A l’inverse, ces mêmes exploitants apprécient de pouvoir faire voler leurs vieilles machines robustes, fiables et économiques. Nous pouvons supposer que cela participe à maintenir une bonne réputation du « made by Airbus ». L’aéronautique navale française utilise encore 13 Alouette SA 319 qui côtoient dans nos armées les récents Caïman et Caracal.
C’est là le pari d’ALHWS: les machines anciennes ont toute leur place au côté des nouvelles générations.


Henri Delille, Directeur des Opérations et du Développement, DCI

Ingénieur de l’Ecole centrale de Paris, Henri Delille a commencé sa carrière au bureau d’études des prototypes de Dassault Aviation. Après un détour par l’industrie nucléaire (filiale de COGEMA), il sera responsable de l’entretien des gros porteurs chez Air France Industries, puis directeur de l’établissement du Bourget, avant de diriger en 2006 le développement et les opérations de DCI-DESCO.


Auteur

Henri Delille, Directeur des Opérations et du Développement, DCI

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