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Installation du démonstrateur sur les pentes du Massif Central
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01 octobre 2020

DES ETOILES AU MONDE SOUS-MARIN

Mon affectation temporaire à Sodern

Sodern est une entreprise de haute technologie qui conçoit et fabrique des instruments et des équipements optroniques et neutroniques. Son viseur stellaire équipe la dernière génération du missile M51 tandis que la navigation à l’aide des étoiles, si elle s’imposait aux marins depuis l’antiquité, trouve une utilité renouvelée dans des scénarios maritimes, terrestres ou aéroportés en l’absence de GPS.


Quel est le point commun entre un camion se promenant dans le désert australien, une sonde martienne, un satellite d’observation de la terre, un rendez-vous automatique en orbite et un sous-marin nucléaire lanceur d’engins ? Sodern, bien évidemment ! 

Sodern, fort de son savoir-faire en matière de neutronique, met au point des sondes minières qui sont présentes aux quatre coins de la planète, par exemple dans le désert australien. Elle est également un équipementier spatial de premier plan et participe à des missions d’exploration, cette fois aux quatre coins du système solaire : un instrument maison, le sismomètre SEIS, mesure actuellement les « battements de coeur » de la planète Mars dans le cadre de la mission Insight de la NASA tandis qu’une caméra de navigation sera embarquée sur la mission JUICE de l’ESA à destination de 3 satellites de Jupiter. Plus près de nous, en orbite terrestre, le videomètre de l’ATV, permettant le rendez-vous automatique, sortait également des laboratoires Sodern. J’ai ainsi découvert à mon arrivée ici un certain état d’esprit pionnier parmi les ingénieurs. Une horloge atomique sur un satellite ? « Aucun problème, je vous fais ça ». 

Mais revenons à nos étoiles : comment les retrouve-t-on sur un sous-marin ? L’histoire commence sur un satellite. L’orientation d’un satellite dans l’espace - ou son contrôle d’attitude - est cruciale pour le bon déroulement de sa mission : il faut garantir par exemple le pointage des antennes ou des panneaux solaires. L’attitude d’un satellite est mesurée à l’aide de gyromètres et d’un ou plusieurs viseurs stellaires. L’hybridation gyrostellaire permet de tirer parti des spécificités de la complémentarité de ces deux instruments : le gyromètre est très précis et peut fonctionner à haute fréquence mais sa précision se dégrade car il dérive, au contraire d’un viseur stellaire qui fournit une information parfois moins précise mais stable sur le long-terme. En particulier, lorsque le satellite commence à se déployer après la mise à poste, le viseur stellaire est un des premiers équipements à fonctionner, selon le mode bien nommé « lost in space », pour permettre la première mesure, grâce aux étoiles, de l’orientation du satellite. Perdus dans l’espace? Le viseur d’étoiles vous permettra de retrouver votre chemin! 

Sodern, soutenu en cela par le CNES, s’est fait une spécialité de ces senseurs stellaires pour satellite au point d’en devenir le leader mondial. Les missions satellite les plus exigeantes, que ce soit en termes de performance ou de robustesse (cinématique, environnement radiatif, …), embarquent le viseur Hydra, avec une ou plusieurs têtes et qui fonctionne même avec les étoiles de la constellation Heracles ! D’un autre côté, le viseur Auriga a été développé pour répondre aux besoins du New Space et des méga-constellations de satellites avec un point de fonctionnement en termes de performance et robustesse tout à fait différent. 

L’ironie de l’histoire est qu’aujourd’hui, si les meilleurs viseurs stellaires sont embarqués sur les satellites GNSS et en permettent le contrôle d’attitude, ces mêmes viseurs permettent de pallier le brouillage ou l’absence de signal de positionnement. C’est sur ce projet que j’ai la chance de travailler aujourd’hui. En associant une centrale inertielle à un viseur d’étoiles, il est possible de se positionner précisément sur terre, sur le long-terme, en hybridant les mesures des deux senseurs. Petit détail d’importance, ce n’est plus un satellite navigant dans l’obscurité du cosmos qu’il faut à présent contrôler mais un avion, un véhicule, un bateau, qui doit de jour comme de nuit connaître sa position sur terre. Détecter des étoiles de jour, à Sodern, c’est possible me dit-on la première fois que j’y pose les pieds ! 

Quelques mois plus tard, me voilà intégré à l’équipe des viseurs diurnes en tant qu’ingénieur système et simulation pour “mettre la théorie en pratique”! C’est une occasion unique de passer en quelques mois du concept et de l’étude papier à un démonstrateur fonctionnel. Ce développement se fait de manière agile, ce qui ajoute au défi. Les validations intermédiaires ou essais qui d’ordinaire garantissent la performance finale sont remplacés par une validation système au prix d’exigences assouplies. Pour se mettre dans des conditions d’essais favorables, nous voilà, tels des chasseurs de tornades des grandes plaines américaines, embarqués à bord d’un camping-car, devenu laboratoire d’essais, à travers la France ! La mise au point incrémentale apporte son lot de victoires : premières détections de nuit, premières mesures d’attitudes de nuit puis première étoile détectée de jour avec traitement algorithmique en temps réel et enfin l’objectif attendu, les premières mesures d’attitude de jour. Le développement achevé, plus besoin de chasser les étoiles aux quatre coins de la France, au moindre coin de ciel bleu nous voilà à notre poste d’observation sur le toit de Sodern, voire chez nous, opérant le système à distance, confinement oblige! 

On l’aura compris, cette période d’ouverture est pour moi l’occasion d’une expérience industrielle enrichissante, complémentaire à mon premier poste à la DGA. La petite taille de l’entreprise permet d’interagir, en tant qu’ingénieur système, avec à peu près tous les métiers : experts (optronique, composants), ingénieurs et techniciens d’essais, bureau d’étude mais aussi au-delà de la sphère technique, ce qui permet de bien comprendre les enjeux d’un équipementier face à ses clients, étatiques ou non! Sodern propose de nombreux postes susceptibles de faire l’objet d’une période d’ouverture pour un IA et accueille très favorablement la démarche ! 

Par le passé, les sous-marins ont disposé de viseurs stellaires, tel le MRA (Moyen de Recalage Astral). Cependant, il s’agit là de dispositifs manuels, plus proches du sextant que des viseurs stellaires actuels, qui fonctionnent eux de manière automatique à 30 Hz! Les viseurs d’étoiles ont plus récemment été adaptés avec succès du satellite vers le M51, première incursion des viseurs modernes dans le monde sous-marin. On l’a vu, si on peut à présent imaginer une visée stellaire diurne, même au niveau du sol, la physique interdira toujours une visée, avec un senseur optronique, sous la surface! A l’immersion périscopique, en revanche, on peut envisager de disposer d’un véritable viseur, fonctionnant cette fois automatiquement de jour comme de nuit ! 

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