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20 mars 2022

DES SYSTÈMES COMPLEXES À LA RÉSISTANCE ANTIBIOTIQUE

Clément Roussel, IA, Thèse de doctorat soutenue le 2/12/20212 :

« Apprentissage et échantillonnage de paysages énergétiques complexes avec des machines de Boltzmann restreintes : de la théorie à la fitness de la protéine TEM-1 »

« Le comportement de grands et complexes agrégats de particules élémentaires ne peut être compris en termes de simple extrapolation des propriétés de quelques particules. » (Philip Warren Anderson, More is Different, Science, 1972). 


Les systèmes complexes : du gaz parfait à la nuée d’étourneaux 

Un système complexe est un ensemble constitué d’un nombre macroscopique d’entités en interaction, dont les propriétés émergent au niveau du système lui-même, et ne peuvent donc pas être comprises à l’échelle de l’entité élémentaire. L’étude de ces systèmes a commencé au milieu du XIXe siècle, avec les travaux fondateurs de James Maxwell, Ludwig Boltzmann et William Gibbs sur les gaz, qui ont donné naissance à la physique statistique. Depuis, l’étude de ces systèmes s’est généralisée à de nombreux autres domaines : les phénomènes collectifs en biologie, pour comprendre par exemple la dynamique des nuées d’oiseaux, la finance de marché, pour modéliser les bulles spéculatives et les krachs boursiers, ou encore l’informatique pour étudier les réseaux de neurones artificiels. L’étude de ces systèmes complexes a été couronnée par le prix Nobel de Physique 2021, récompensant Syukuro Manabe et Klaus Hasselmann pour leurs travaux fondateurs sur la modélisation physique du climat et Giorgio Parisi pour ses travaux sur les systèmes désordonnés.

Ma thèse : voyage au sein des systèmes complexes

Durant ma thèse au sein du département de physique de l’ENS Ulm, sous la direction de Simona Cocco et Rémi Monasson (professeur à l’X), tous deux anciens collaborateurs de Giorgio Parisi, j’ai étudié les systèmes complexes dans un but double : comprendre et améliorer les performances de réseaux de neurones profonds et les appliquer à la prédiction d’effets de mutations de protéines. 

Sur l’échantillonnage des machines de Boltzmann restreintes 

Les réseaux de neurones profonds sont depuis une dizaine d’années une brique essentielle de l’intelligence artificielle et permettent de réaliser des tâches diverses et variées, de la traduction automatique de langues à la génération d’images, une fois qu’ils ont été entraînés sur de grandes quantités de données. Ces réseaux, comme leur nom l’indique, sont constitués d’un grand nombre de neurones artificiels connectés les uns aux autres et sont donc un système complexe à part entière. Durant ma thèse, nous avons utilisé des outils issus de la physique statistique pour étudier et améliorer les performances génératives de ces réseaux de neurones, c’est-à-dire leur capacité à générer des nouvelles données, comme par exemple des images, après que ces réseaux ont été entrainés. 

Sur la résistance antibiotique causée par les β-lactamases 

Un autre domaine d’application des systèmes complexes est l’étude des protéines. Grâce à une collaboration avec des chercheurs de l’hôpital Bichat (INSERM), j’ai eu la chance d’étudier la protéine β-lactamase TEM-1 qui est responsable de la résistance antibiotique à la pénicilline. Expérimentalement, Olivier Tenaillon et son groupe ont modifié certains acides aminés de la protéine TEM-1 pour créer des mutants de cette protéine afin de mesurer leurs effets sur la résistance antibiotique et essayer de prévoir quels futurs variants de cette protéine pouvaient apparaître dans la nature. Ces procédures expérimentales sont longues et coûteuses et il est impossible d’étudier tous les mutants expérimentalement.

Néanmoins, depuis une dizaine d’années et grâce à l’amélioration des techniques de séquençage de l’ADN, des bases de données comportant des millions de protéines sont accessibles à la communauté scientifique. Il est donc possible d’entrainer des réseaux de neurones profonds sur ces bases de données et de les utiliser pour prévoir l’effet des mutations sur une protéine donnée : c’est ce que nous avons fait dans le cadre de cette collaboration. Ce dernier pan de ma thèse montre la richesse des systèmes complexes : nous avons utilisé un système complexe, les réseaux de neurones, pour étudier un autre système complexe, les protéines.

Et le Corps de l’Armement dans tout ça ?

Les systèmes complexes, dans le sens de la gestion d’un programme industriel complexe, sont le cœur de métier de l’Ingénieur de l’Armement. Nos systèmes complexes d’armement se rapprochent de plus en plus des systèmes complexes au sens physique du terme. Il suffit de regarder le programme SCAF ou SCORPION, où les avions, drones ou bien chars sont interconnectés et dont la finalité n’apparaît qu’à l’échelle du système lui-même. Le More is different de Philip Warren Anderson a encore de beaux jours devant lui ! 

 

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