SPORTS EN MILIEU NON-SÉCURISÉ : UN RISQUE D’ABORD HUMAIN
MUTUALISER LE RETEX
Les pratiquants de la montagne ou du ski hors-piste sont exposés aux risques naturels (avalanches, chutes de pierre) et humains (fatigue, erreurs). Des spécialistes de la pratique ont mis au point des méthodes d’analyse et de réduction du risque.
La méthode Munter est une formule « x3 » consistant à évaluer, à 3 échelles spatio-temporelles (à la préparation, au départ et pendant la course), 3 critères : le terrain (topographie), les conditions (météo, neige) et les paramètres humains relatifs au groupe et aux individus qui le composent (état physique et psychique, compétences, expérience, équipement). On y analyse également la capacité de limiter la gravité de l’évènement s’il se produit, comme la durée d’ensevelissement sous la neige. Le risque est ainsi quantifié (probabilité x gravité), et ce fut le premier outil d’aide à la décision adapté à un sport de montagne, associant systématiquement le facteur humain au risque.
La méthode des 3 filtres décisionnels, qui en est largement dérivée, est depuis 2006 enseignée aux guides de haute-montagne. Concentrée sur le risque d’avalanche, elle peut être étendue à l’ensemble des activités des guides. Elle reste très subjective, et soumise aux biais cognitifs des pratiquants. Six « pièges de l’inconscient » ont été ainsi répertoriés : habitude, obstination, désir de séduction, aura de l’expert, positionnement social et sensation de rareté.
Méthode des 3 filtres décisionnels (ENSA)
Ils ont été détaillés dans un article de Sébastien Plumet dans le n°114 de notre magazine.
Dans la pratique du vol libre, plus récente, la sécurité s’est d’abord inspirée des autres activités aériennes : procédures de type « check-lists », analyse d’accidents, partage d’expérience. Les formations font une place aux facteurs humains, techniques (pilotage, connaissances théoriques et réglementaires) et non techniques (physiologie, conscience de la situation, gestion du stress, gestion du vol, communauté, décisions). De nombreux moniteurs intègrent maintenant dans leurs stages des éléments de connaissance de soi et de préparation mentale, et ce à tous les niveaux de pratique, du débutant au compétiteur.
Un exemple de mauvaise décision
En février 2019 en haute vallée de l’Ubaye, le risque avalanche est de 4 sur 5. Nous sommes 2 encadrants d’un groupe de 15 personnes de bon niveau technique. Notre sortie suit un itinéraire peu exposé (pentes faibles, le long d’une crête). Seule une courte section nous semble douteuse à la montée : nous la franchissons en respectant une distance de délestage, sans relever de signes d’instabilité. Plus haut nous décidons d’interrompre l’ascension.
Après une première partie de descente sans signe anormal, nous hésitons à repasser par la section douteuse. Nous préférons la contourner par des pentes paraissant plus sûres, mais non repérées à la montée et sans confirmer leur profil sur la carte. L’autre encadrant s’y engage et, à peine 5 secondes plus tard, déclenche une zone d’une centaine de mètres de large pour 40 centimètres d’épaisseur. Il parvient heureusement à prendre appui sur un arbuste, sans être emporté par ces centaines de tonnes de neige. Notre grande chance est que la rupture s’est produite en aval du groupe. Nous redescendons tous en sécurité par l’itinéraire planifié, en réalisant que le bilan aurait pu être dramatique si la pente avait cédé après quelques passages.
Analyse
En privilégiant une option non préparée nous exposant à un risque probable, nous avons pris une décision irrationnelle. Pour quelles raisons ?
Nous avions chacun les mêmes réserves sur l’itinéraire modifié, mais n’avons pas pris le temps de les exprimer. Nous nous sommes tous les deux remis à l’avis supposé de l’autre, jugé plus pertinent. Enfin, la responsabilité de la décision n’a été explicitement portée ni par l’un ni par l’autre.
Biais de confirmation, défaut de communication, pas de leader désigné : cas typique d’un binôme qui se connaît bien… mais dans ces conditions il aurait été avant tout préférable d’annuler cette course.
La gestion de risques et la prise de décision associée relèvent des mêmes principes dans tous les sports à risques, mais aussi dans d’autres secteurs d’activités. Les essais en vol DGA se sont dotés de la méthode GRO (Gestion des Risques Opérationnels) à la suite de l’accident ayant impliqué deux Rafale en 2009, afin de mieux intégrer les facteurs propres à l’équipage en préparation de vol. Le principe reste le même : évaluer le niveau de risque à travers l’adéquation entre l’objectif envisagé, les conditions environnementales, le matériel et les acteurs eux-mêmes.
Une mutualisation à plus large échelle de ces différentes méthodes de réduction du risque et de connaissances relatives au facteur humain est hautement souhaitable !
Initiateur fédéral ski & alpinisme (Fédération Française de la Montagne et de l’Escalade)
Qualification fédérale parapente biplace (Fédération Française de Vol Libre).
Architecte de simulation hélicoptère puis responsable d’essais de qualification de systèmes embarqués (DGA Essais en Vol). Ingénieur recherche & développement « assistance au pilotage » (Airbus Helicopters).
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