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La science-fiction a inventé des mondes dystopiques mêlant l’humain et la machine qui deviennent réalité aujourd’hui
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24 mars 2024

LES ÉCOLES D’INGÉNIEURS À L’ÈRE DES ROBOTS
LES PROGRÈS DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE IMPOSENT-ILS UNE RÉFLEXION DE FOND SUR LA FORMATION DES INGÉNIEURS ?

Imaginé depuis des lustres, le rôle des robots pose des questions métaphysiques que les ingénieurs devront savoir aborder, en apportant des bribes de réponse. Les écoles doivent dès à présent s’adapter pour leur donner les compétences nécessaires.


En 1965, dans « Dune », Franck Herbert décrivait le « jihad butlérien », guerre qui avait conduit l’Humanité à détruire les machines pensantes et à interdire de créer des machines semblables à l’Homme. Dans « L’Empereur Dieu de Dune », Leto, devenu une abomination divine, lâche à propos des machines « Humans had set those machines to usurp our sense of beauty, our necessary selfdom out of which we make living judgments. Naturally, the machines were destroyed. »

De son côté, en 1967, Isaac Asimov, définit dans « I, Robot », trois règles censées encadrer la banalisation des androïdes et permettre leur intégration dans la société humaine. Enfin, souvenons-nous de « Do Androids Dream of Electric Sheeps » du génial Philip K. Dick, où, dans un monde éteint, les androïdes deviennent plus humains que les hommes mais sont chassés comme du bétail.

Asimov, Herbert, Philip K. Dick, ont imaginé l’univers de demain, dystopique. Pour K. Dick, il reflète pour tous cette vision d’un monde partagé, plus ou moins harmonieusement, entre l’humain et les machines. Nous sommes arrivés au moment où cette vision devient réalité.

La question du facteur humain se pose donc assez naturellement. Du transhumanisme au contrôle strict des intelligences artificielles ou des robots, philosophes, technologues, sociologues et chercheurs, s’interrogent pour dessiner ce qui doit, selon eux, devenir la ligne de partage entre les humains et les machines.

Je pense qu’il est important de s’attarder sur ce que sera notre réalité dans dix ans : quelles que soient nos préoccupations et nos aspirations, légitimes ou non, les machines pensantes occuperont une place centrale dans nos vies. Cette réalité brutale, quasiment incontournable, nous confronte sans doute à la fragilité de la civilisation humaine, autant qu’elle interroge sur son avenir. Dès lors, selon que vous êtes Herbert ou Asimov, Gibson ou K. Dick, vous souhaiterez la destruction des machines et une forme de transhumanisme ou leur intégration dans une nouvelle ère dans laquelle elles contribuent aux transitions indispensables face aux différents défis.

De façon plus prosaïque, l’ère des robots interroge sur la place de l’éducation et de la formation dans le futur. Faut-il renoncer à l’école ? Comment les formations peuvent-elles ou doivent-elles accompagner les changements à venir ? Quelles que soient les réponses que nous pouvons apporter à présent sur la problématique clé de la formation, des formateurs et du lieu qui les voit converger, les choix devant nous procèdent d’une décision fondamentale sur la place de l’Homme : spectateur, acteur ou concepteur.

Les écoles d’ingénieurs pour quoi faire ?

Les écoles d’ingénieurs constituent un lieu singulier qui au-delà de son rôle strictement formateur contribue à offrir à ceux qui la fréquentent les moyens de s’émanciper et de se construire.

À ce titre, elles tiennent une place centrale dans la construction du monde de demain et la prise en compte des bouleversements qu’il porte. Qu’il s’agisse de la place des machines, de la transformation de notre planète sous l’effet du changement climatique, de la disparition des espèces ou de l’épuisement des ressources, les écoles doivent donner à leurs étudiants les compétences et outils adaptés à leur future place.

Aux ingénieurs revient la mission de concevoir et réaliser des systèmes qui intègrent ces bouleversements. Aucun autre métier ne dispose des moyens de porter les transformations indispensables à la société en proposant des systèmes innovants conçus grâce à l’application des sciences et capables d’offrir des solutions durables à des problématiques disruptives.

Au quotidien, il serait pratique que les établissements d’enseignement supérieur s’en tiennent strictement à leur principale mission. Elle est fondamentale puisque les universités, par extension les écoles et facultés, sont les creusets où se développe et grandit le savoir, en particulier au travers de la recherche et de l’innovation. Pourtant, elle ne me semble pas suffire à répondre aux défis que devront affronter les futurs ingénieurs, qu’ils soient techniques ou de société.

Faire changer l’école pour accompagner l’évolution du monde ?

Les écoles d’ingénieurs constituent en effet la matrice originelle d’un métier devenu d’autant plus incontournable qu’il assure le lien entre la science la plus fondamentale et ses applications quotidiennes. Or, l’époque est marquée par une incroyable défiance envers la parole scientifique. En 2020, une enquête de l’IPSOS l’illustrait en montrant que « moins d’un Français sur 2 considère « qu’on peut faire confiance aux scientifiques pour dire la vérité si jamais certaines de leurs recherches pouvaient avoir des répercussions sur la santé des individus » (48 %), alors qu’ils étaient encore 5 % à estimer que c’était le cas en 2013. »1

« … PRENDRE EN COMPTE DES PRÉOCCUPATIONS PHILOSOPHIQUES ET DONC SCIENTIFIQUES ET POURSUIVRE LES DÉVELOPPEMENTS TECHNIQUES ET TECHNOLOGIQUES »

Les ingénieurs doivent occuper une place éminente pour retourner la tendance qui se dessine, une forme de néo-obscurantisme qui porte en germe une régression de l’humanité. Les écoles se doivent de leur donner les moyens de convaincre, expliquer et, en définitive exercer leur mission pour éclairer le monde et les choix des gouvernants. En cela, alors qu’ils constituaient depuis la période industrielle des « usines à savoir », les établissements d’enseignement supérieur deviennent des lieux où convergent deux problématiques fondamentales : la prise en compte des préoccupations philosophiques et donc scientifiques concernant l’avenir et la nécessité de poursuivre les développements techniques et technologiques afin d’adresser différents enjeux existentiels. L’université doit dès lors devenir le cœur d’un réseau humain, technique et scientifique qui occupera une place singulière mais indispensable pour construire l’avenir commun.

Or, comme tout système complexe, les établissements d’enseignement supérieur constituent des mécaniques lourdes. S’il s’avère assez naturel et relativement rapide de faire évoluer les formations en s’appuyant sur les forces de recherche, les bouleversements structurants prennent plus de temps. En outre, s’agissant d’une « révolution » qui sera amenée à transformer profondément le modèle « recherche formation », elle doit englober la majeure partie des écoles d’ingénieurs pour porter ses fruits.

De fait, certaines prémices laissent espérer que les enjeux du siècle ont fait l’objet d’une forme de prise de conscience collective. L’émergence d’alliances d’établissements, comme pour ce qui concerne la Défense, l’institut Polytechnique de Paris, constitue indéniablement une occasion de renforcer la capacité collective à former, innover et rechercher et ainsi répondre à la question, notamment, de la place relative des machines et de l’Homme.

Plus modestement, les deux ENSTA, au-delà du renforcement naturel du traitement des thématiques de souveraineté, appuyé sur des disciplines qui font historiquement la force des deux écoles, de la mécanique aux mathématiques appliquées, devront continuer à développer des enseignements indispensables à la bonne appréhension du facteur humain, par exemple dans le domaine de la robotique autonome ou de l’ingénierie pour la santé.

 

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Bruno Gruselle, IGA, directeur général d’ENSTA Bretagne

Diplômé de l’ENSIETA en 1995, il a servi à la DRM à la DAS puis au sein de la délégation à la prospective et à la stratégie du MININT et comme maître de recherche à la FRS. Il rejoint le cabinet de Jean-Yves le Drian en 2013 comme conseiller diplomatique adjoint puis conseiller industriel. Il devient directeur général d’ENSTA Bretagne en 2020. 

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