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30 septembre 2020

4 DEFIS DE LA SEC-PLONGE
TRADITION ET MODERNITE

La sécurité-plongée fait partie de l’ADN de tout sous-marinier, embarqué comme à quai. A l’heure du numérique, la discipline doit réussir le défi de se moderniser sans perdre son âme, ni négliger la sagesse accumulée par nos anciens dans leurs principes historiques. Pour fournir au marin une plate-forme toujours plus sécurisante, tout en optimisant le coût et l’encombrement.


 

Qu’est-ce que la sécurité-plongée ?

La sécurité-plongée couvre historiquement les systèmes et consignes d'emploi permettant au sous-marin de plonger, naviguer en immersion et refaire surface en toute sécurité. Ce domaine fait appel à des domaines techniques divers : - mécanique des structures et connaissance des matériaux pour l'étanchéité de la coque et de ses inévitables traversées, - mécanique des fluides pour la chasse aux ballasts et le comportement du navire (construction du fameux diagramme immersion vitesse autorisé...), - hydraulique et pneumatique haute pression pour les circuits de commande des barres, des chasses, des fermetures d'urgence, de l'air respirable etc. 

 La pire des erreurs en matière de sécurité, c’est de ne pas remettre en cause ce que l’on croit acquis. Le domaine de la sécurité-plongée est un bon candidat pour commettre cette erreur : vu de loin, rien n’a changé depuis le Gymnote de Gustave Zédé et Dupuy de Lôme : les sous-marins ont toujours besoin de plonger et de rester étanches en immersion. Les grands principes de la sécurité-plongée sont enseignés largement dans tout le petit monde du sous-marin, et les technologies historiquement mises en œuvre (air et huile haute pression notamment) ont toujours la cote. 

1er défi : se tenir à jour de la révolution du contrôle commande

Cependant, il suffit de se pencher sur un pupitre sécurité-plongée d’un SNA type Suffren pour voir que le monde change : à côté du rustique levier de commande manuelle de la chasse rapide, un écran de contrôle tactile et joystick de commande des barres se sont fait une place. Là est le premier défi pour l’expert sécurité-plongée de 2020 : se familiariser avec le domaine du logiciel, les architectures des réseaux, les automates programmables…bien éloignés du cœur de métier sécurité-plongée, qui dédaignait l’électron (sans parler du bit !) réputé non fiable pour une « bonne vieille » commande manuelle, hydraulique ou pneumatique. Pourtant, on ne peut pas être spécialiste de tout ; il semble donc que la vraie compétence sécurité-plongée doive consister de plus en plus à s’appuyer sur différents experts pour s’assurer de la cohérence de leurs choix au service de la sécurité-plongée.

2ème défi : gérer la profusion d’informations

Les nouvelles technologies en matière de contrôle-commande présentent des avantages incontestables : elles permettent d’apporter beaucoup plus d’informations à chaque opérateur. Le bénéfice pour le marin est important, à condition de bien la hiérarchiser, la synthétiser et la présenter. Deuxième défi pour les concepteurs et futurs utilisateurs : éviter la complexification démesurée. L’apport d’informations complémentaires permet à l’opérateur d’éviter les erreurs de modèle ou la détection retardée d’un sinistre résultant d’une agression externe (fortune de mer) ou d’une défaillance interne (voie d’eau, incendie). Par contre, le trop-plein d’informations et de commandes est préjudiciable au ressenti et à l’intuition du sous-marinier. Trouver le bon compromis ne relève jamais de l’évidence. Avantage de ce domaine : la mise à jour des logiciels et interfaces peut se faire dans des boucles itératives rapides en l’espace de quelques mois, et pas seulement à la génération de sous-marin suivante. Les erreurs ne sont donc pas irrémédiables, à condition d’intégrer cette pratique maintenant bien maîtrisée par les informaticiens et spécialistes des systèmes de combat dans les habitudes des mécaniciens de sous-marins dont l’horizon usuel est de 30 ans.


Par quoi le sous-marin est-il étanche ?

Chaque métier, chaque domaine a ses expressions. Les sous-mariniers n’échappent pas à la règle, avec des traditions marquées, comme le verre d’eau à boire lorsqu’on descend à P pour la première fois. Le piquant étant que ce verre contient... un poisson rouge. Alors, par quoi le sous-marin est-il étanche ? Pour les ingénieurs, cela va de soi, le sous-marin est étanche par conception ! Par l’applica- tion des règles et bonnes pratiques, les calculs d’épaisseur, le dimensionnement des brèches, les efforts, l’équilibre des masses, la chaufferie, les aériens... On pourrait imaginer qu’il l’est aussi par la performance des aciers à haute limite élastique de sa coque épaisse et autres matériaux d’étanchéité. Ces maté- riaux tiennent bon même à grande profondeur, alors que le sous-marin est soumis à rude épreuve. Il craque, grince, la coque perdant quelques centimètres de diamètre. Sur le Redoutable, les plinthes se gondolaient dans la coursive des officiers, et même sur les sous-marins plus récents, en dépit des berceaux suspendus, il semblerait que certaines portes se coincent... Le sous-marin est étanche forcément par la qualité de sa construction. Des milliers de traversées de coque épaisse ou des joints entre sections de tuyaux sous pression sont réalisés, inspectés, testés individuellement et en essais en mer avec un coefficient de sécurité suffisant. Mais rien de toute cela. Il faut chercher ailleurs. En effet, lorsqu’on plonge ou change d’immersion, le commandant ordonne une ronde d’étanchéité dont il est rendu compte soigneusement. Dans les rapports qui sont faits, on peut entendre « fuite au presse-étoupe, x litres, fuite sur circuit PP, z litres, etc... », mais ces rapports se terminent toujours par l’expression, « ..., étanche par ailleurs ! » JDD

Pour étancher sa soif ou le sous-marin

 

3ème défi : travailler l’héritage sans le renier

Du côté du bureau d’étude aussi tout a changé : la modélisation et les capacités de calculs permettent de réaliser des optimisations souhaitables à la fois techniquement (gains de place ou de performance) et économiquement. Elles induisent en revanche un questionnement sur les marges arbitrairement choisies sur les sous-marins précédents conçus en l'absence de modélisations numériques. Voire sur le bien-fondé de règles de conception dogmatiques fondées sur un retour d’expérience à la mer plus que centenaire. Par exemple, l’expérience de nos anciens les a conduits à ségréguer la chasse normale (dédiée aux plongées et remontées normales) de la chasse rapide (dédiée aux remontées d’urgence suite à une voie d’eau). Aujourd’hui, la question de mutualiser les réserves d’air dédiées à ces deux usages fait débat, car elle permettrait incontestablement un usage plus souple de ces réserves et potentiellement un gain de place pour de la charge utile. 

Ces débats sont donc plus que légitimes et nos règles historiques méritent souvent d’être mieux justifiées soit par des calculs scientifiques, soit par des raisonnements rationnels. Ce travail de reconstruction constitue un troisième défi. A relever en veillant cependant à éviter l’écueil quasi-prométhéen négligeant l’expérience de nos anciens en s’imaginant que nos outils nous permettront de faire beaucoup mieux qu’eux. 

4ème défi : rester concret !

Enfin, la pratique récente de la sécurité-plongée a été influencée par la formalisation de méthodologies de sécurité générale. Pour autoriser la première sortie pour essais ou la première plongée d’un sous-marin, nos décideurs ont désormais besoin de disposer d'un niveau de confiance très élevé sur la sécurité du navire. S'inspirant alors des pratiques du civil notamment en matière de gestion du risque industriel et de sûreté nucléaire, des méthodologies ont donc été développées pour permettre de quantifier le risque. Les différents risques de survenue d'une avarie et de non fonctionnement d'un système de sécurité s’y assemblent pour démontrer la tenue d’une probabilité de perte du navire. 

Ces démonstrations, déjà utilisées pour les SNA type Suffren comme pour le projet de SNLE 3G ont l’avantage d’harmoniser le niveau de sécurité de domaines connexes (sécurité plongée, incendie, pyrotechnique etc.) qui, jusqu’à présent, évoluaient indépendamment sans souci de cohérence. Cependant, leur poids administratif est certain, et le risque de perdre le bon sens dans les puissances de 10 est réel.

L’ingénieur et le marin : un couple de sous-mariniers à cultiver

Il me semble que pour surmonter les quatre défis exposés, cultiver la dialectique entre l’ingénieur et le sous-marinier (le vrai !) est plus que jamais nécessaire : à l’ingénieur de proposer – et non imposer – au sous-marinier des solutions permettant de mieux connaitre et conduire son système. Au sous-marinier d’alimenter de son vécu, son intuition et son sens pratique la vision de l’ingénieur pour l’empêcher de faire fausse route…

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