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01 juin 2019

BRÈVE GÉNÉALOGIE DU ROEM SPATIAL FRANÇAIS

Les racines du ROEM1 spatial français remontent aux années 90 avec le tristement célèbre microsatellite CERISE : celui-ci entra dans l’Histoire un jour de juillet 1996 lorsqu’il fut le premier cas répertorié de collision entre deux objets spatiaux. La queue de CERISE (son mât de stabilisation) fut tranchée net par un débris de fusée Ariane 1 qui tournait autour de la Terre depuis le lancement de SPOT1 en 1986...


Un tir fratricide en somme. La probabilité qu’un tel événement se produise était extrêmement faible mais pas nulle : ça laisse songeur quand on sait à quel rythme le nombre d’objets en orbite basse (moins de 2000km d’altitude) a encore progressé depuis 1996.

Vue d’artiste de l’impact entre CERISE et le débris d’Ariane 1 en 1996 (source : Cnes.fr)

La mise en œuvre des écoutes de CERISE, à la charge du CELAR2, devait permettre de caractériser l’environnement radioélectrique terrestre tel que vu depuis une orbite basse, en effectuant des mesures avec un instrument spatialisé. En effet, l’objectif de ce démonstrateur était bien exploratoire : en 1995 il n’existe pas en France de modèle ou de base de données caractérisant cet environnement, qui dépend de surcroît de l’heure locale, de la position du capteur sur son orbite et de son orientation. Si des capteurs embarqués sur des bateaux ou des aéronefs permettent eux aussi de caractériser des émetteurs radar et telecom, leurs zones d’intervention sont limitées (zones côtières pour les bateaux, zones de survol autorisé pour les aéronefs), à l’inverse du capteur spatial. Or la connaissance de l’environnement était une brique indispensable pour pouvoir dimensionner un futur système opérationnel de ROEM spatial.

Vingt-cinq ans plus tard, la réalisation de ce démonstrateur fait figure de précurseur : un micro satellite à faible coût de réalisation (utilisation d’une plateforme civile), faible coût de lancement (mutualisé avec HELIOS 1A), et offrant un retour d’expérience rapide grâce à une faible durée de développement. Le satellite CLEMENTINE succédera à CERISE en 1999, covoiturant cette fois avec HELIOS 1B, pour compléter la connaissance de cet environnement à des fréquences plus basses que celles scrutées par CERISE.

Ces deux démonstrateurs mono-satellite ont pavé le chemin pour les démonstrateurs multi-satellites qui devaient leur succéder : ESSAIM et ELISA. L’objectif d’ESSAIM était de démontrer en environnement réel la faisabilité de caractériser et localiser des émetteurs telecom (bandes fréquentielles « basses ») par un système comprenant quatre satellites en formation et mettant en œuvre le principe de localisation par triangulation. ESSAIM, comme ses prédécesseurs, utilise des plateformes issues du civil (plateforme Myriade du Cnes). L’organisation qui est mise en place pour le développer préfigure déjà celle qui se verra confier le développement du futur système opérationnel CERES... Déjà, Astrium est responsable système, Thales Systèmes Aéroportés responsable de la charge utile et du segment sol utilisateur, et le Cnes opérateur du centre de contrôle en orbite des satellites.

Lancé fin 2004, ESSAIM répondra pleinement aux attendus et même au-delà : initialement prévus pour durer trois ans, les satellites ne seront désorbités qu’en 2010. L’exploitation des écoutes réalisées démontre qu’on est capable, en environnement réel, de déterminer les caractéristiques des signaux perçus à travers l’atmosphère et d’en localiser la source à partir de capteurs à plus de 600km et se déplaçant à plusieurs kilomètres par... seconde !

Mais ESSAIM était limité par ses capacités embarquées de traitement du signal : les satellites effectuaient diligemment les écoutes programmées et retransmettaient les données « brutes » enregistrées au sol. C’est donc au sol qu’était réalisée l’exploitation du signal permettant d’identifier, dans le fatras relevé par les capteurs, les signaux d’intérêt qui alimenteraient, in fine, le renseignement. Car la surface de la Terre est un brouhaha électromagnétique, et si le morcèlement du spectre rendait le paysage complexe à l’époque d’ESSAIM, ça promet d’être un véritable casse-tête pour CERES demain. Pour exemple, à 700 km d’altitude, un lobe d’antenne avec une ouverture de 5° balaierait une zone àlasurfacedelaTerrede60kmde diamètre : cela peut comprendre une multitude d’émetteurs, et potentiellement aucun d’intérêt ROEM ! Or le volume mémoire d’un microsatellite ainsi que le canal de vidage vers les antennes de réception au sol sont limités. On en vient rapidement à la conclusion qu’un système opérationnel ne saurait se passer de traitement du signal à bord, pour faire le « tri » entre données d’intérêt et bruit.

Ce fut donc naturellement la prochaine brique technologique à tester. Fin 2011 fut lancé le démonstrateur ELISA, également basé sur une plateforme Myriade. Outre de démontrer la faisabilité d’une exploitation automatisée et en orbite des signaux, ELISA avait pour but d’écouter des bandes fréquentielles plus élevées qu’ESSAIM. Là où ESSAIM ciblait essentiellement des émetteurs telecom, ELISA vise principalement des émetteurs radar.

ELISA, dont les écoutes sont programmées depuis le site de DGA/MI à Bruz, a permis à la DGA d’effectuer des expérimentations en vue de spécifier le futur système opérationnel CERES. Au jour où j’écris, ELISA a encore de beaux jours devant lui, avec déjà 7 années de bons et loyaux services, alors que sa durée de vie nominale au lancement en 2012 était de 3 ans. Lorsque la DGA, par ses expérimentations techniques, avait démontré les performances du système et que les satellites ELISA ne semblaient pas vouloir prendre leurretraite,lesopérationnels(la DRM puis progressivement les centres de renseignement des armées) ont pris en main le démonstrateur pour entamer une phase d’utilisation dite pré-opérationnelle. ELISA a en outre permis de débloquer un autre verrou technologique pour le ROEM spatial puisque ses quatre satellites sont agiles : leur orientation (tangage, roulis, lacet) peut être ajustée pour capter des émissions dans des directions variables, ce qui fait une différence considérable car les cibles des écoutes sont, elles aussi, agiles.

Nous voici maintenant en 2013 - 2014: on commence à spécifier CERES, le futur système opérationnel. La DGA, grâce aux démonstrateurs qu’elle a lancés et avec lesquels elle a mené des expérimentations, a plusieurs briques technologiques solides à sa disposition. En parallèle, l’utilisation pré-opérationnelle des démonstrateurs a permis aux forces de préciser leur besoin d’un futur système opérationnel. Rappelons que 20 ans auparavant, le ROEM spatial français n’existait ni technologiquement ni dans les scenarios d’emploi militaires...

Vue d'artiste des satellites CERES en formation... Un léger air d'ELISA

CERES, c’est en quelque sorte un best of d’ESSAIM et d’ELISA : un système de ROEM spatial multi-satellites, de caractérisation et de localisation d’émetteurs telecom et radar. Les méthodes de traitement du signal, embarquées et au sol, s’appuient sur un environnement bien mieux connu notamment grâce aux générations de démonstrateurs successifs. Prévu d’être lancé sous deux ans, CERES sera un atout considérable pour le renseignement français et une exclusivité en Europe.

Mais avant même sa mise en orbite, il faut déjà penser à son remplacement... Or le paysage technologique et économique a bien changé depuis le lancement du programme CERES. New space, tensions internationales en orbite, miniaturisation des satellites, multiplication des objets (satellites et débris) en orbite, démocratisation de l’accès à l’espace... Autant de variables à prendre en compte pour l’architecture du post-CERES, mais aussi pour la prochaine génération de satellites d’observation et télécommunications militaires. Cela ouvre tout un champ d’innovation et d’exploration, donnant ainsi une belle opportunité pour les futurs ingénieurs passionnés de spatial avec la tête dans les étoiles.

 

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