Retour au numéro
Moulins de la poudrerie basse (Gravure sur bois, 1838 - Collection Paul Allorge, Montlhéry, Série C c 25)
Vue 235 fois
30 juin 2022

DE LA POUDRERIE ROYALE DU BOUCHET AU CENTRE DE RECHERCHES D’ARIANE GROUP
1821 - …, DEUX CENTS ANS D’HISTOIRE

Publié par Michel Dill et Jean-François Guéry | N° 126 - BOUM ! PYROTECHNIE ET MATERIAUX ENERGETIQUES

Évoquer l’histoire de la Poudrerie royale du Bouchet, nous fait remonter à 1821, année de sa création. Existait alors depuis le XVIIe siècle (un document ancien cite une explosion survenue en 1628...) à Essonnes, une poudrerie, connue pour avoir abrité les essais de Berthollet et Lavoisier. Durant son existence, cette poudrerie connait de nombreux incendies et explosions dont les voisins ont à subir les effets. L’explosion du 16 octobre 1820 qui ne fait pas de victime, exception faite d’un blessé, cause des dégâts insupportables et scelle le sort de la poudrerie. 


Le comte d’Artois qui visite les lieux après l’explosion est sensible à l’émoi des habitants et intervient auprès de son frère, Louis XVIII. Le 30 janvier 1821 paraît une ordonnance royale qui mentionne en son article 1er « La fabrication de poudre jusqu’ici établie à Essonnes sera transférée au Bouchet, Commune du Petit Vert, Canton d’Arpajon, Département de Seine-et-Oise ». C’est l’acte de naissance de la poudrerie du Bouchet alors « royale ».

Les terrains disponibles sont proches d’Essonnes, alors éloignés des habitations, boisés – caractéristique propice à limiter les effets des explosions – et la proximité de la Juine présente la force motrice nécessaire à l’entraînement des moulins à poudre. Un document manuscrit du 23 juillet 1821 définit l’aménagement de la canalisation de la Juine qui autorise l’édification de trois poudreries ; haute, moyenne et basse.

Construite à l’origine pour fabriquer essentiellement des poudres noires, la Poudrerie du Bouchet fut l’un des premiers établissements où l’on entreprit en 1847 la fabrication du coton-poudre découvert un an plus tôt, puis de la poudre sans fumée à simple base inventée en 1884 par Paul Vieille. Dans un contexte d’essor de la recherche, de très nombreuses substances explosives ont fait leur apparition (tolite, mélinite, …) et la poudrerie va se lancer dans leur étude et leur mise au point industrielle.

Guerres mondiales et changements majeurs pour la poudrerie 

La Grande Guerre, marquée en particulier par un usage particulièrement conséquent de l’artillerie, va entraîner une évolution majeure de la poudrerie. Celle-ci, qui procédait essentiellement à des études et des essais doit alors produire pour le besoin des forces armées. Pour développer la production, sa surface va être doublée par la réquisition de terrains et ses effectifs multipliés par 10. D’une superficie de 20 ha à sa création en 1821, la poudrerie atteindra 120 ha à la fin de la guerre. 

En 1921, conséquence de la Grande Guerre, la poudrerie est dotée de laboratoires relatifs à la défense chimique, qui seront rejoints en 1937 par des laboratoires de biologie. Les activités de pyrotechnie et de défense biologique et chimique se développeront conjointement au sein de l’établissement du Bouchet jusqu’à leur répartition dans deux entités distinctes relevant toujours de la Défense nationale.

Au cours de la seconde guerre mondiale, après un pillage du site alors que l’établissement s’était replié dans le Sud, et la neutralisation de certaines installations, les autorités allemandes restituèrent la poudrerie aux autorités françaises sous la condition qu’aucune activité d’industrie de guerre n’y soit réalisée, la « Station d’essais du Bouchet » est alors rattachée au Laboratoire central des services chimiques de l’État.

Des poudres explosives à la propulsion solide : conquête spatiale et dissuasion 

Le 4 mai 1945, l’établissement change une nouvelle fois de nom et devient le Centre d’Etudes du Bouchet. D’importants travaux seront entrepris pour transformer le site en un lieu de recherche fondamentale et appliquée. Georges Maire crée au Bouchet en 1946 un laboratoire de propulsion. Persuadé que les moteurs-fusées à propulsion liquide pourront être avantageusement remplacés par des « moteurs à poudres », il lance ses activités de recherche sur les compositions solides capables d’être moulées en gros blocs de plusieurs centaines de kilogrammes, pour de très longues durées de combustion, avec des performances balistiques très supérieures aux poudres classiques. Il met ainsi au point les premiers propergols composites qui dans les années 50 permettront la percée des industriels français dans la propulsion tactique, et transformeront la poudrerie de Saint-Médard en usine pilote. 

L’usine du Bouchet du CEA

Tirant parti d’espaces disponibles sur le site de la poudrerie du Bouchet, le CEA s’y implante dès 1946 (le site est alors surnommé B1), et y produit le combustible du premier réacteur nucléaire français, la pile atomique Zoe. En parallèle de la production d’uranium métal, le site du Bouchet continuera ses études, ce qui permettra d’extraire les premiers milligrammes de plutonium en 1949, puis de placer la France au premier rang des producteurs de sels de thorium au monde à la fin des années 50. L’activité du CEA cessera en 1971 et la zone sera décontaminée.

En 1957, de premiers blocs de propergols solides à liant polyuréthanes sont fabriqués au Bouchet. Cette famille permettait d’envisager la réalisation de gros engins, encore fallait-il savoir les « coller » sur une structure. Plusieurs problèmes devaient être résolus, que ce soit dans la chimie des assemblages, mais également dans les méthodes de conception pour savoir faire fonctionner ce type de moteur : pour un moteur-fusée, le propergol solide est à la fois, l’ergol, son propre réservoir, le système d’injection, et sa propre chambre de combustion ! Il fallait donc maîtriser la chimie, la combustion, la balistique et le dimensionnement mécanique et thermique de l’ensemble. Ce sera chose faite au Bouchet en 1960. Lorsque la France lance le programme des « Pierres Précieuses » (lanceur de satellite qui préfigure la force de dissuasion), les équipes du Bouchet sont mises à contribution pour les deuxième et troisième étages du lanceur Diamant. Le premier moteur de 2,2 tonnes est fabriqué au Bouchet en 1961, avant que la fabrication des moteurs en structure de vol ne soit transférée à Saint Médard en 1962. La réalisation du troisième étage de Diamant, en structure bobinée se révèlera plus difficile, car il fallait résoudre les problèmes de grandes déformations mécaniques et d’étanchéité de la structure. Ce sera chose faite en 1962. Le 26 Novembre 1965, le premier tir de Diamant, avec ses étages à propergol solide, permettra à la France de lancer son premier satellite artificiel baptisé « Astérix ».

Après ces développements réalisés en un temps record, l’activité du centre sera en partie consacrée à la maîtrise des connaissances et du fonctionnement des moteurs (dont la normalisation des essais de caractérisation et la modélisation) dans le but de fiabiliser l’usage de la propulsion solide pour la FNS tout en recherchant de nouvelles formulations capables d’augmenter les performances des engins.

Pilote de chimie : montée en échelle de procédés avant transfert sur site industriel et production d’ingrédients nouveaux en quantité́ suffisante pour essais représentatifs 

Vers un centre de recherches unique sur les matériaux énergétiques 

En 1971, une loi décline les dispositions du traité de Rome et réforme le régime des poudres jusqu’alors étatique. Cette loi va avoir des effets directs sur le site du Bouchet dont l’ensemble des activités du domaine NBC demeurent au sein de l’État, donnant naissance à ce qui est aujourd’hui DGA Maîtrise NRBC alors que les activités du domaine des poudres et de la pyrotechnie en sortent et sont confiées à une société, la SNPE, devenant le Centre de Recherches du Bouchet (CRB). D’importants investissements d’infrastructure y sont réalisés par la SNPE afin d’accroître les moyens d’études en matière de propulsion, poudres et explosifs décidées par l’Etat. 

Cette caractéristique fondatrice, de rassembler en un seul lieu les études sur l’ensemble des matériaux énergétiques, propergols solides, poudres pour armes ou explosifs, depuis la synthèse des molécules, la mise au point des formulations de matériaux, la caractérisation de leurs propriétés, l’étude de prototypes, et la simulation numérique de leur fonctionnement, est l’ADN du CRB. C’est un choix judicieux qui a permis à la France de disposer à moindre coût de recherche des meilleures avancées dans chacun des domaines.

Etude de la physique de l’allumage et de la combustion des propergols 

Cette porosité entre les diverses compétences et applications a permis de développer les explosifs composites, sur la base des technologies employées pour les propergols solides, puis avec la découverte de l’ONTA, une molécule explosive particulièrement insensible, de mettre au point les explosifs MURAT (Munitions à Risques ATténués), embarqués sur le porte-avions Charles de Gaulle, de nouvelles molécules comme le Butacène®, catalyseur balistique greffé sur un polymère, employé sur divers missiles et dont la production initialement au Bouchet a été transférée à l’établissement de Toulouse, le MethylBapo, agent d’adhésion liant-charges pour les propergols composites, employé dans les propergols d’Ariane et militaires, la synthèse du PAG, polymère énergétique ou du CL20, molécule explosive la plus énergétique à l’heure actuelle, vers l’établissement de Sorgues (aujourd’hui Eurenco), ou encore les procédés de synthèse d’hydrazine ultra-pures, grâce à une unité mixte de recherche avec le CNRS et l’Université de Lyon, pour la production à Toulouse de l’UDMH puis de la MMH pour les lanceurs spatiaux et satellites.

Après avoir acheté SME pour créer Herakles en 2012, Safran installe au Bouchet son centre de recherches sur les matériaux composites. En 2016, Herakles est intégré dans ArianeGroup ce qui rapproche encore les équipes du CRB des fonctions lanceurs et missiles et permet de consolider la valeur « système » des travaux conduits. 

En novembre 2021 et sous l’égide de la DGA, une convention est signée entre ArianeGroup, Roxel et Eurenco qui permet à ces derniers de bénéficier directement des recherches conduites sur les matériaux énergétiques et perpétuer l’ADN fondateur du Centre de Recherches du Bouchet. 

Le Centre de Recherches du Bouchet, par son modèle unique en Europe, est un atout fort pour la souveraineté nationale, à la fois pour le maintien des systèmes actuels (traitement d’obsolescence ou de points critiques ardus) et la préparation du futur. La localisation en un seul lieu de la capacité à synthétiser des molécules jusqu’à tester à échelle suffisante les matériaux, associée au périmètre d’application très large des études conduites permet de réduire fortement les cycles de développement et d’innovation par effet synergétique.

Aujourd’hui, le CRB est résolument tourné vers le futur, avec ses compétences pluridisciplinaires et son réseau de partenaires académiques, pour préparer les révolutions qui viennent dans le domaine des molécules énergétiques, des matériaux énergétiques, ou des systèmes les utilisant, et dont la cadence continuera à s’accélérer grâce aux progrès de l’intelligence artificielle, de procédés disruptifs comme l’impression 3D ou la chimie en flux, de l’accroissement des puissances de calcul pour prédire in silico le comportement de la molécule jusqu’au système, afin de répondre aux besoins des forces et de l’accès à l’espace.

 

 

 

Jean-François Guéry

Après avoir occupé différents postes au CRB à partir de 1990 (chef de service simulation nu- mérique, directeur des projets de R&T, chef de département maté- riaux énergétiques), Jean-Fran- çois GUERY a été directeur des programmes d’Europropulsion pour le développement et la production des moteurs à propergolsolide des lanceurs Ariane et du premier étage de Vega, puis son directeur technique et qualité. Revenu au CRB en 2018 il œuvre à l’orientation du centre au bénéfice de Roxel et d’Eurenco et des autres industriels de l’armement. Auditeur de la 47e session nationale Armement et Economie de Défense de l’IHEDN.

 

 

 

Michel Dill, ICETA

Michel DILL a été de 2008 à 2013 adjoint au directeur du Centre d’études du Bouchet (CEB), devenu DGA Maîtrise NRBC, pour la gestion et l’organisation. Il y anima la section « Patrimoine culturel » du club de la défense du Bouchet.

 

 

Auteurs

Michel Dill
Jean-François Guéry

Articles liés par des tags

Commentaires

Aucun commentaire

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.