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01 mars 2019

MAIN GROUND COMBAT SYSTEM

Publié par Alain Jacq | N° 117 - L'Europe

« On prend les mêmes et on recommence ». « Jamais deux sans trois » (1). Les commentaires chagrins ont fusé lorsque la France et l'Allemagne ont annoncé en juin 2018 leur intention de préparer en commun le développement d’un futur système principal de combat terrestre (MGCS). Fera-t-on mentir Thucydide l’historien selon lequel l’histoire n’est qu’un perpétuel recommencement ?


2035. Le char Leclerc, premier char dit de 3e génération, livré aux unités de cavalerie au début des années 90 aura quand même alors plus de quarante ans. Ce n’est pas faire injure aux innovations dont il fût porteur à l’époque (chargement automatique, équipage trois hommes, numérisation, tir en roulant, moteur diesel HYPERBAR, etc.) que de dire que l’armée de Terre française attend pour cet horizon de 2035 un successeur qui ne peut être un simple Leclerc rénové (sans porter ombrage ici au programme XLR2). Un nouveau système d’armes donc qui sera pleinement dans son époque, appelé à devenir le pion de la force collaborative Scorpion pour le combat de haute intensité et à même d’évoluer pour en rester une référence jusque loin dans le siècle qui s’ouvre à peine.

La France et l’Allemagne ont très en amont constaté avoir en commun une attente aux mêmes horizons pour cette capacité de premier plan. Depuis 2012, les deux états réfléchissent ensemble à ce nouveau système d’arme qui succédera donc aux Leclerc et aux Léopard II en service de chaque côté du Rhin. Pour une réflexion capacitaire ouverte et sans préjugé, parce que le successeur d’un char ne doit pas être automatiquement un char, les deux nations ont décidé il y déjà maintenant six ans de travailler aux bases d’un possible Main Ground Combat System (MGCS) ou Système Principal de Combat Terrestre à développer en commun.

Une démarche franco-allemande engagée depuis 2012

Dans une première étape de 2012 à 2014, ce fut d’abord une réflexion commune sur le besoin et les attendus d’une capacité devant permettre à nos forces terrestres d’opérer en supériorité sur l’ensemble des terrains, dans l’ensemble des contextes où les intérêts respectifs peuvent les amener à se déployer. Nombre de scénarios et de vignettes tactiques reflétant les attentes respectives dans leurs aspects communs comme dans leurs différences ont ainsi été travaillées en groupes de travail étatiques bilatéraux. Au prix d’échanges intenses, ce premier défi que de poser les bases d’un besoin commun pour le MGCS fût accompli mi-2014.

Dans une seconde étape, de 2015 à 2018, les deux nations ont travaillé à l’élaboration et à l’évaluation de concepts à même de répondre au besoin esquissé. Parce que les méthodologies de conduite des programmes et les cultures sous-jacentes sont propres à chaque pays, le choix d’alors que de faire mener parallèlement ces études de concept par chaque nation, avec son industrie respective, aurait pu faire déraper l’affaire. S’il était sans doute trop tôt pour franchir le pas d’un pot complètement commun, une sage préparation coordonnée a cependant pu assurer la mise en œuvre d’une démarche commune devant permettre des réflexions sans tabou, l’appel à l’innovation, mais aussi une convergence par la synchronisation de points de rendez-vous communs donnant lieu à des échanges symétriques de livrables essentiels à la bonne compréhension réciproque. Au prix de sérieux débats et de compromis (l’avouer serait-il une faute ?), le second défi que de dégager une vision commune de ce que le MGCS devrait être demain, après-demain, a finalement été accompli3.

MGCS sera-t-il au char lourd (au Main Battle Tank), ce que le porte-avions a été au cuirassé ?

Le porte-avions par sa capacité à projeter la puissance bien au-delà des portées de canon furent-ils de 406mm avait largement entamé la suprématie des cuirassés sur les mers. L’amélioration des armements, les missiles et missiles anti-missiles et la guerre électronique ont définitivement envoyé le concept par le fond, déplaçant quelque part la haute lutte du glaive et du bouclier, entre systèmes d’attaque et systèmes de défense, à bonne distance des porteurs (pour ceux qui disposent de défenses efficaces).
Le contexte opérationnel dans lequel devra évoluer le MGCS devient très complexe. Il se retrouve largement challengé dans sa place de maître absolu du terrain par la profusion d’armes anti-char à létalité et portée accrues, légères (missile anti-char pour fantassin), des moyens de détection électroniques (vision nocturne banalisée, drones), d’armements guidés de précision (portés par l’aviation ou mis en œuvre par l’artillerie), les mines et les engins explosifs improvisés... sans oublier le char ennemi qui progresse tant en 
armement qu’en protection,... Demain, ce sont aussi les armes à énergie dirigée (laser, micro-onde), qui prendront leur place sur le champ de bataille étant entendu que le champ d’action du MGCS ne se limitera pas au conflit asymétrique au Levant... Comme pour les cuirassés de l’entre-deux guerre, on peut donc pousser armement, protection, capacités de détection, mais à quel prix? Le «Tigre II» de 1943 pesait 70t et se mouvait à moins de 20km/h en tout terrain, le « Maus », 188t sur la bascule, fût même mis en projet et des premiers prototypes testés en 1944 : bien plus des bunkers mobiles donc que des armes de mouvement pour les cavaliers. Plus proche de nous, les chars occidentaux ont repris de l’embonpoint au fil des versions et des évolutions apportées (le M1Abrams américain est passé de 55 à 66t, Leclerc de 50 à 63t, le Léopard 2 de 55 à 65t, le Challenger 2 britannique de 62 à 75t). La présentation par la Russie en 2015 d’un T14 Armata estimé à 50t sonne la fin d’une certaine facilité. « Car la cavalerie blindée doit préserver deux qualités qui lui sont propres : la visibilité stratégique de ses éléments les plus puissants et l’avantage tactique de la mobilité »4.

MGCS : un concept, appuyé par la technologie

Pour que la cavalerie reste cette arme puissante et de mouvement, la France et l’Allemagne ont porté, depuis l’origine du projet MGCS, un objectif ambitieux d’éternel compromis entre mobilité, protection et puissance de feu.

MGCS sera donc non pas un char, mais un ensemble de véhicules de combat capable de porter le feu plus fort et plus loin, de se protéger et de protéger. Érigées en système de combat, en droite filiation avec l’approche collaborative initiée, pour la France, avec le système de système Scorpion, pleinement intégrées au sein de la force de contact interarmes, les composantes du MGCS seront en mesure de partager l’information de leurs capteurs, fusionner et distribuer l’information, de coordonner leur action et leurs mouvements. Ainsi

MGCS, un concept se déclinant en un ensemble de véhicules de combat capables de porter le feu plus fort et plus loin innervées, elles détruiront l’ennemi dès son entrée dans le compartiment de terrain (plus vite, plus fort, plus loin) par un duel élargi s’il n’a pas déjà été dominé par le tir au-delà de la vue directe sur détection de leurs capteurs avancés ou du renseignement.

Ce sont ainsi de nouveaux armements et munitions, plus véloces, plus létaux, plus précis distribués sur les différentes plates-formes qui donneront au MGCS sa capacité à détruire les menaces haut du spectre les plus avancées le menaçant, menaçant la force. Ce sont de nouveaux capteurs qui devront observer, détecter, décamoufler, identifier la menace pour ensuite mettre en œuvre les armements. C’est aussi empêcher le tir ennemi en perturbant, brouillant, détruisant ses capacités de détection. C’est enfin, quand même, se protéger, en réduisant sa signature, en prévenant l’impact létal (protection active), en neutralisant les effets de l’agression pour améliorer sa survivabilité, son endurance au combat. La distribution des effets rendue possible, les nouveaux concepts de protection doivent permettre de diminuer la masse et d’assurer l’agilité des plates-formes. Aussi, et ce n’est pas le moindre des challenges, la place que pourrait prendre l’intelligence artificielle, et plus généralement l’automatisation, de la télé-opération à la robotisation, si les promesses annoncées dans le domaine permettent de délivrer in fine un avantage tactique sur le terrain, sur les terrains, par un cavalier appelé à maîtriser la machine plus qu’à la conduire,... comme le cheval en fin de compte !

Une lettre d’intention, un essai à transformer

La France et l’Allemagne sont donc à l’œuvre pour préparer la suite des études MGCS (phase de démonstration technologique) qui seront désormais menées en commun, au niveau étatique (installation d’une équipe de projet commune) et industriel (installation d’un architecte industriel franco-allemand) pour faire mûrir en commun les solutions candidates. Outre ces travaux communs, elles devront poursuivre l’analyse de la place de MGCS dans leurs forces respectives dans le cadre d’analyses capacitaires élargies pour être à même de faire les bons choix en temps utile.

La France et l’Allemagne seront alors plus à même de porter ce projet, dans toutes les dimensions qui sont celles d’un projet d’armement vers leurs partenaires européens pour qui se pose la même question de renouvellement de leur arme blindée. Le renouvellement d’une composante majeure des armées de Terre porté par le projet MGCS ne peut que s’inscrire dans l’ambition plus large de la construction d’une Europe de la défense forte et souveraine, pour laquelle la Commission européenne elle-même se mobilise fortement en mettant en place des outils tels le Fonds Européen de Défense.

Auteur

Alain Jacq

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