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Le jugement de Pâris par Raphaël Mengs (1757)
20 octobre 2015

ET SI NOUS N’ÉTIONS QUE DES MACHINES…
LE LIBRE-ARBITRE N’EST-IL QU’UNE ILLUSION ?To be or not to be

Le libre arbitre, dont nous croyons tous être dotés, apparaît contradictoire avec le déterminisme et donc avec la science telle que nous la connaissons. Ou bien ce libre arbitre n’est-il qu’une illusion ?

Et si c’était le cas, serait-ce si grave ?


Ce numéro du journal des IA porte sur les processus de décision. Il suppose donc implicitement qu’il existe un tel « processus de décision » grâce auquel nous prenons, justement, des décisions.

C’est bien ce que vous, et moi aussi, avons le sentiment de mettre en œuvre lorsque nous exerçons l’un de ces choix petits ou grands qui rythment notre vie. Qu’ils aient des conséquences importantes ou qu’ils portent sur les détails de la vie quotidienne, nous avons le sentiment, en choisissant, de choisir librement.

Notre culture, notre société, nos religions nous en rendent d’ailleurs responsables au nom du « libre arbitre » qui nous permet de distinguer le bien du mal. Je préfère l’expression « libre choix » pour les décisions qui ne relèvent pas de la morale. Elles sont légion.

Qu’il s’agisse du libre arbitre, dont je laisse aux philosophes le privilège d’examiner la signification, ou du libre choix auquel je me limiterai ici, force est de constater une contradiction entre cette liberté, même quand on l’écrit avec un « l »  minuscule et le déterminisme qui régit le monde inanimé. L’Homme, et même les animaux supérieurs, seraient libérés de ce déterminisme et auraient ainsi la possibilité de trier et de choisir parmi les multiples actions possibles.

Je ne suis pas le premier à m’inquiéter de cette contradiction, à buter sur cette difficulté. La distinction entre la pensée et la matière a fait réfléchir les philosophes depuis bien avant Descartes. On voit mal en effet comment elles pourraient être de même nature, mais on voit tout aussi mal comment la première pourrait agir sur la seconde si leurs natures étaient au contraire radicalement différentes. Je ne prétendrai pas répondre ici aux questions que ces philosophes ont examinées sans jamais les résoudre. Je voudrais seulement tirer quelques conséquences d’une analyse logique élémentaire qui me paraît pourtant fructueuse.

D’où peut donc bien provenir ce « libre choix » dont l’Homme nous semble doté ? Il n’y a que deux possibilités, complémentaires et exclusives.

La première est qu’il ne soit qu’illusion. Nous croirions être capables de choisir alors que nos « décisions » ne seraient que les conséquences logiques de notre état. Nous serions des « machines », des machines complexes, beaucoup plus complexes que le plus sophistiqué de nos ordinateurs, mais rien de plus. Ce n’est contradictoire avec rien de ce que la science nous enseigne ; c’est tout de même gênant !

« certains processus physico-chimiques défient les lois de la nature »

La seconde est que ce libre choix existe réellement, mais alors se pose la question de sa compatibilité avec la science (connue ou inconnue aujourd’hui) ou de son caractère extra-scientifique, autrement dit surnaturel ou religieux.

Sa compatibilité avec la science telle que nous la connaissons aujourd’hui est difficile à concevoir. Celle-ci ne s’éloigne en effet, à ma connaissance, du déterminisme que dans deux directions.

Le principe d’incertitude de Heisenberg et la théorie des quanta pourraient fournir une piste. Cependant leur champ d’application intéresse des dimensions de plusieurs ordres de grandeur inférieures à celles mises en causes dans les relations physico-chimiques en œuvre dans notre cerveau. On voit mal d’autre part comment une incertitude fondamentale pourrait être à la base d’un processus de décision, qui est tout autre chose qu’un lancer de dé.

Le chaos n’est pas un candidat beaucoup plus satisfaisant. C’est une apparence de défaut du déterminisme dû seulement aux grands nombres d’éléments en relation. Un bouchon lancé dans le Rhône du pont de Genève reste soumis aux lois déterministes de la physique avant d’aboutir aux Saintes-Maries-de-la-Mer ou de rester coincé sous un rocher au voisinage de Montélimar.

Les deux hypothèses qui résistent à l’analyse sont donc, d’une part celle du surnaturel et de la singularité de l’Homme dans la nature et d’autre part celle d’une explication scientifique reposant sur une théorie encore inconnue. Le choix de la seconde est implicite chez ceux que j’appellerais volontiers matérialistes, celui de la première chez ceux que je nommerai, par opposition, les spiritualistes.

Ma remarque, et le seul élément que je tente d’apporter ici à la réflexion sur le sujet, est que nos capacités accrues d’étude du cerveau devraient conduire, dans les deux hypothèses, à la même conséquence : la constatation que certains processus physico-chimiques y défient les lois de la nature telles que nous les connaissons aujourd’hui et sont la cause du comportement que nous présentons lorsque nous prenons une décision. Resterait ensuite à leur trouver ou non une explication scientifique.

On peut se satisfaire en pensant que le nombre des cellules de notre matière dite « grise » et l’interdiction d’expérimenter in vivo, du moins chez l’Homme, vont nous laisser longtemps encore dans un doute plus supportable que la certitude. On peut aussi en douter et croire que nous approchons de l’une des dernières frontières. 

Mais après tout serait-il si grave de se savoir machine ? C’est peut-être justement la capacité d’adaptation de ces machines qui les a fait disposer progressivement au cours de l’évolution de tout ce que nous prenons pour la capacité de décider et qui nous permet de nous sentir libres.

Cette LIBERTÉ, alors, vaut bien qu’on l’écrive en majuscules, qu’on lui érige une statue, qu’on en fasse le mythe de nos religions et de nos philosophies et qu’avec le poète, on Écrive Son Nom.

That is the question.  

Décider et le chat de Schrödinger

Notre cerveau a la capacité de stocker un très grand nombre de signaux et d’analyses. En ce sens, notre pensée primitive contient une infinité d’espaces décisionnels. Pourtant, lorsque nous prenons une décision, nous faisons une mesure verticale dans les espaces de probabilités pour y effectuer une réduction et aboutir à un seul état décisionnel. Nous retrouvons le bien connu chat de Schrödinger, qui lorsqu’il revient sur terre dans sa capsule est à la fois vivant et mort, mais qui se trouve réduit à une seul état lorsqu’on ouvre la capsule…

Ainsi, lorsqu’on nous demande de nous prononcer sur un sujet, on tue toutes les possibilités sauf une.

JDD 

 

Le HBP vise une meilleure compréhension du cerveau humain

Le Human Brain Project, projet phare européen

Le 28 janvier 2013, la Communauté européenne a choisi les deux programmes phares européens dans le cadre des « technologies futures émergentes » qui recevront chacun un milliard d’Euros de financement sur dix ans : le graphène d’une part, et la modélisation du cerveau d’autre part.

Le Human Brain Project a comme objectifs de créer de nouveaux outils pour mieux comprendre le cerveau et ses mécanismes de base et appliquer ces connaissances dans le domaine médical notamment pour les maladies neurologiques et neuro dégénératives. Il s’agit aussi de contribuer à la création une informatique et une robotique différentes, inspirées de l’efficience du cerveau.

Cependant, dès avant la première phase, des critiques ont fusé pour dénoncer une approche matérialiste réductionniste visant à mécaniser l’homme.

Puis la gouvernance a été critiquée, l’importance de l’EPFL, coordonnateur du projet en raison de ses recherches avancées sur le « blue brain » en 2008, étant remise en cause. Des questions de financement et d’orientation de la recherche semblent avoir été résolues en 2015, et une deuxième phase de financement est attendue pour 2016. A côté de ce projet européen, d’autres pays (Etats-Unis, Chine, Canada, Israël…) ont lancé eux aussi des «Brain Initiatives» car les enjeux sont gigantesques.

JDD 

 

 

Pâris aveuglé, leur avait fait injure, en osant, dans sa bergerie,

Opter pour celle qui lui offrit l’amère luxure. Homère

 

    
Alain Crémieux, IGA
Alain Crémieux a exercé des fonctions techniques, de politique industrielle et de relations internationales à la DGA et au ministère de l’industrie. Il a e été attaché d’armement auprès des ambassades de France à Londres et à Washington puis conseiller de l’ambassadeur représentant de la France à l’OTAN à Bruxelles. Il a également dirigé le Centre des Hautes Études de l’Armement (CHÉAr). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, «L’éthique des armes», «Mémoires d’un technocrate», et récemment « H », roman sur la décision de l’emploi de l’arme nucléaire.
 

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