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21 octobre 2015

S’IMPLIQUER DANS LA MISE EN ŒUVRE
QUESTIONS À LAURENT GIOVACHINI

Questions à Laurent Giovachini

"Les clefs de la décision :

- se fixer un cap stratégique clair et s’y tenir ;

- faire confiance à ses collaborateurs tout en complétant son information « en dehors du cadre » ;

- savoir décider dans le bon timing ;

- prendre toute sa part dans l’exécution."

 


La CAIA : Tu as exercé dans des cadres plutôt divers : à la DGA, dans des cabinets ministériels, dans le privé : quelles différences y vois-tu dans la façon de décider ?

Laurent Giovachini : - A la DGA, j’ai été directeur de la coopération et des affaires industrielles, puis directeur des systèmes d’armes, l’équivalent du directeur des opérations dans la DGA d’aujourd’hui. Dans son fonctionnement, la DGA est sans doute l’administration qui ressemble le plus à une entreprise ; les organes de gouvernance ou le dialogue de gestion par exemple sont assez similaires à ce que l’on trouve dans l’industrie.

En matière de programmes d’armement, les décisions sont mûrement instruites, font intervenir de multiples acteurs et suivent un processus très structuré. En revanche, en matière de coopération internationale, un petit nombre d’acteurs motivés peut prendre des initiatives conduisant à des décisions de principe assez rapides, même si leur mise en œuvre est le plus souvent laborieuse. L’imagination est au pouvoir !

- Dans les cabinets ministériels, j’ai été simple conseiller – et il s’agit alors davantage de préparer des décisions –, puis directeur adjoint de cabinet – c’est-à-dire soucieux de décharger le ministre des décisions qui ne sont pas de son niveau : les directeur et directeur adjoint de cabinet prennent dans les faits pas mal de décisions ; pour ne pas faire d’erreurs, il faut donc en permanence exercer sa faculté de jugement.

- Dans l’entreprise – pour moi CS hier, Sopra Steria aujourd’hui –, le dirigeant que je suis se doit de mettre en oeuvre sur le plan opérationnel la ligne stratégique fixée par le Conseil d’administration et par son Président : je participe naturellement à la définition de cette ligne, mais in fine c’est le Président et le Conseil qui ont le dernier mot !

Lorsque l’Etat est l’unique ou le principal actionnaire (c’est le cas de DCI dont je suis administrateur), le dirigeant est à la fois plus contraint par certaines règles, et plus libre de prendre certaines initiatives…

La CAIA : Tu as été DNA – directeur national d’armement – et chargé de négociations industrielles : comment fait-on pour respecter un mandat laissant souvent une liberté limitée ?

LG : A mon époque en tout cas, les mandats étaient peu formalisés ; il était donc important de bien connaître les orientations et positions, souvent implicites, des ministères concernés (Matignon, Bercy, le Quai d’Orsay et bien sûr la Défense). Je disposais dans les faits d’une grande latitude et en particulier de la possibilité d’« anticiper » certaines prises de positions officielles en cours d’instruction au plan national. Ceci m’a permis, non pas de décider à la place des autorités politiques, mais d’avancer des pions, de promouvoir des idées, de prendre des initiatives dont plusieurs ont ensuite prospéré.

La CAIA : Quelles évolutions as-tu observées ?

LG : Au sein de l’appareil politico - administratif, les choses ont beaucoup évolué au cours des quinze dernières années. L’Etat s’est professionnalisé : les décisions sont préparées, les acteurs qui les mettront en œuvre ou qui en subiront les effets sont consultés. Le Comité Ministériel d’Investissement (CMI) permet ainsi désormais au ministre de la Défense de décider du lancement de nouveaux programmes en toute connaissance de cause. La LOLF a de son côté permis de mieux responsabiliser les décideurs politiques, militaires et administratifs.

La CAIA : Profession décideur : comment définirais-tu ce métier ?

LG : Rappelons tout d’abord que le principe de subsidiarité s’applique et qu’il n’y a lieu de trancher soi-même un dilemme que lorsque que celui-ci ne peut pas l’être à un niveau inférieur.

A quelque niveau qu’il se situe, le décideur doit disposer d’une boussole, d’un cap stratégique. A défaut, ses décisions seront taxées d’opportunisme et donneront le plus souvent de lui l’image de quelqu’un qui ne sait pas où il va.

Pour être en mesure de bien décider, il faut aussi avoir préalablement constitué autour de soi une équipe rapprochée de collaborateurs riches d’expériences diverses, en qui l’on a pleinement confiance. Mais écouter ses collaborateurs ne doit pas empêcher le décideur de se renseigner 

à la base, d’écouter « en VO » ceux qui sont sur le terrain, sans se contenter des comptes rendus affadis par les différentes couches hiérarchiques. Le décideur doit en outre rester en permanence ouvert sur l’extérieur, à l’écoute des avis qui « sortent du cadre ».

Il est bien sûr essentiel de prendre les décisions en temps opportun, dans le « bon timing » : ni trop tôt – car il est dommage de se priver d’éléments d’appréciation supplémentaires si le calendrier le permet -, ni trop tard. Et savoir gérer ses priorités est une qualité dont doit assurément disposer un décideur.

Mais le plus important à mes yeux réside dans la mise en œuvre des décisions prises : dans trop de cas – et nous connaissons malheureusement tous de beaux exemples –, le pilotage attentif et détaillé de l’exécution fait défaut. Ce n’est pas parce qu’on a pris une décision qu’elle est entrée en vigueur. Le pire, pour un chef d’entreprise comme pour une autorité politique ou administrative, est de réaliser qu’une décision que l’on a prise – ou plutôt cru prendre – n’est jamais entrée dans les faits par manque de persévérance ou de savoir-faire dans sa mise en oeuvre.

La CAIA : De quelles décisions es-tu le plus fier ?

LG : Il est rare d’être satisfait d’une décision isolée ; une suite de décisions pertinentes, prises individuellement ou le plus souvent collectivement, peut en revanche déboucher sur un véritable accomplissement.

Je suis fier d’avoir participé de très près à Matignon à la fin des années 1990 à la création d’EADS devenu Airbus Group.

Je le suis également d’avoir largement contribué, en tant que directeur national d’armement, à la naissance au milieu des années 2000 de l’Agence Européenne de Défense, même si celleci, onze ans après sa création, doit encore faire ses preuves.

Je le suis enfin d’avoir été l’un des artisans du rapprochement réussi des sociétés Sopra et Steria, qui a donné lieu le 1er janvier dernier à la création d’un groupe informatique européen de près de 40 000 personnes.

La CAIA : Quelles sont les qualités requises ?

LG : Détermination, écoute, humilité – dans 8 cas sur 10, la décision que vos collaborateurs vous proposent de prendre est la bonne, encore faut-il le reconnaître ! –, discernement, fermeté, persévérance.

La CAIA : Quelle est la partie la plus difficile ?

LG : Sans hésiter je dirais que c’est l’exécution : les décisions prises in abstracto sans que les conditions de leur déploiement aient été réunies préalablement sont rarement couronnées de succès…

Parmi les conditions de réussite à réunir lorsque la décision relève de la sphère étatique figure l’appropriation des choix politiques par l’administration, qui assure en cas d’alternance la continuité de l’Etat.

La CAIA : En conclusion ?

LG : Décider, ce n’est pas « signer en bas », en laissant les autres mettre en application.

C’est avoir un cap, prendre le recul nécessaire, écouter ses collaborateurs et faire confiance aux meilleurs d’entre eux, mais aussi se renseigner sur l’environnement et les contraintes, et surtout assumer ses choix en s’impliquant personnellement dans leur mise en œuvre.  

 

    
Laurent Giovachini, IGA
Laurent Giovachini a occupé de nombreux postes à la DGA (notamment celui d’adjoint au DGA), en cabinet ministériel (conseiller de Pierre Joxe, puis Lionel Jospin) et a été directeur adjoint du cabinet d’Alain Richard. Après passage dans le privé, il a été nommé en 2013 Secrétaire général et membre du Comité Exécutif de SopraSteria dont il est Directeur général adjoint depuis juillet 2015.
 

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