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La méthodologie NAF
13 octobre 2015

L’INGÉNIERIE SYSTÈME AU SERVICE DES DÉCIDEURS

Pour le maître d’œuvre, l’objectif premier de l’Ingénierie système est de mettre en œuvre des démarches outillées de conception garantissant la convergence de la définition du système vers un de ses optimums (voir n° 103). Pour le maître d’ouvrage, il s’agit essentiellement d’organiser l’information technique pour positionner l’ingénierie au cœur de la prise de décision.


L’Ingénierie système a pour objet l’étude des processus, méthodes et outils de conception des systèmes complexes mis en œuvre par les organisations humaines, au premier rang desquelles les maîtres d’œuvre industriels. Elle s’est donc développée autour de trois préoccupations fondamentales pour la maîtrise d’œuvre : structurer les travaux d’ingénierie dans des processus techniques garantissant que la définition du système converge vers un optimum relativement au besoin opérationnel exprimé et aux objectifs financiers du programme ; maîtriser l’intégration des apports des différents domaines d’expertise technique mobilisés pour ce processus technique ; assurer la fluidité du dialogue technique entre l’ensemble des parties prenantes à travers des langages communs et un mécanisme de partage de la donnée d’ingénierie (ingénierie collaborative).

Qualifier les attentes des preneurs de décision face à l’ingénierie

Le premier contact avec l’Ingénierie système se fait donc généralement à travers de nouvelles méthodes de conception des systèmes qui s’adressent prioritairement à l’ingénieur de maîtrise d’œuvre, d’où un décalage avec les attentes du maître d’ouvrage, moins focalisé sur la conception du système que sur la prise de décision technico-financière.

Ce n’est qu’en se confrontant au quotidien aux attentes des ingénieurs maîtres d’ouvrage que l’expert peut proposer une ingénierie système de maîtrise d’ouvrage, différente et complémentaire de celle des maîtres d’œuvre.

Définir le positionnement d’une ingénierie système de maîtrise d’ouvrage implique ainsi de qualifier les attentes des preneurs de décision face à l’ingénierie. La qualité des décisions finales dépend des qualités humaines du preneur de décisions, mais aussi de la qualité du dialogue animé par la maîtrise d’ouvrage entre les parties prenantes du système, et du comment les informations techniques sont présentées par l’ingénierie. Prendre une décision renseignée dans un programme complexe nécessite ainsi que le décideur dispose du bon niveau d’information au bon moment, qu’il ait à disposition des solutions alternatives, qu’il comprenne l’impact de sa décision sur la satisfaction du besoin opérationnel et sur la tenue des objectifs financiers du programme, que les arbitrages techniques à réaliser soient mis en évidence, qu’il puisse quantifier la sensibilité de la décision finale au poids des critères de décision retenus, qu’il acquière une vision claire de la corrélation entre les concepts d’emploi retenus du système et les choix techniques à réaliser.

L’ingénierie système répond à ces attentes, d’une part en proposant des méthodes formelles d’analyse du besoin opérationnel qui fluidifient le dialogue entre clients, maître d’ouvrage et maître d’œuvre industriel ; d’autre part en proposant une démarche outillée pour organiser l’information technique – et orienter sa production – de manière à ce qu’elle soit mieux exploitée dans le processus décisionnel.

L’Ingénierie système n’utilise pas de « l’information » : elle manipule de la donnée d’ingénierie formelle. L’intérêt de formaliser l’information technique en donnée d’ingénierie, c’est que cette donnée peut être stockée dans des bases de données et qu’on peut lui appliquer des analyses formelles (et donc paramétrables dans un outil).

Evaluer les différentes performances opérationnelles attendues

Lorsque la donnée en question est une exigence, on peut analyser sa syntaxe, sa structure, ses liens de traçabilité, ses dépendances à d’autres exigences. Lorsque la donnée est un élément d’architecture, ses relations avec les autres éléments d’architecture et les exigences sont décrites à travers un métamodèle (comme celui du NAF). Analyser les propriétés d’une architecture revient alors à analyser les relations entre ses différents éléments : les besoins d’échanges d’information sont-ils couverts par des interfaces techniques ? Dans quelle mesure les scénarios opérationnels peuvent être réalisés par une les alternatives proposées ? L’ingénieur est alors en mesure de fournir directement des rapports d’analyses formelles et des indicateurs de suivi aux preneurs de décisions, générés automatiquement à partir de la donnée d’ingénierie.

De plus, formaliser l’information technique dans des modèles d’architecture permet d’évaluer plus efficacement les différentes performances opérationnelles attendues du système. Pour un système connu, l’ingénieur sera alors en mesure de présenter aux décideurs comment une modification de ses chaînes fonctionnelles impacte l’équilibre des performances du système. Pour des systèmes à architecture innovante, l’ingénieur sera en mesure de présenter aux décideurs comment modifier l’équilibre des performances du système en agissant sur l’assemblage de ses composants.

L’effet le plus décisif de cet effort de formalisation est de faciliter le recours à des méthodes d’aide à la décision au profit des preneurs de décision, notamment les méthodes d’analyse de la valeur, d’analyse multi-critères, de recherche opérationnelle et d’optimisation multi-critères. Ces méthodes consistent à déterminer l’espace des décisions non-dominées, et à permettre aux décideurs de s’y mouvoir. Dans cet espace, il n’y a pas de décision « mathématiquement » meilleure qu’une autre, toute décision consiste alors à déplacer le compromis entre les différentes performances du système ; les méthodes fournissent au décideur des moyens qualitatifs et quantitatifs pour visualiser quels compromis sont les plus proches de ses priorités. Or, obtenir des résultats pertinents avec ces méthodes nécessite une intervention forte de l’ingénieur : il doit décrire formellement les analyses voulues, vérifier qu’elles sont cohérentes avec le méta-modèle des données d’ingénierie et maîtriser la sensibilité des résultats de la méthode aux paramètres qu’il y a introduits.

Cultiver une attitude mêlant curiosité intellectuelle et écoute de l’autre

En conclusion, l’ingénierie système peut être orientée pour servir spécifiquement les besoins des ingénieurs de maîtrise d’ouvrage, auxquels elle fournit les processus, méthodes et outils pour organiser efficacement l’information technique et permettre ainsi aux décideurs d’embrasser la complexité des systèmes pour lesquels ils doivent définir des orientations techniques, financières et de concept d’emploi.

Cet article montre ce qui fait l’enthousiasme quotidien de l’expert Ingénierie système, et l’enjeu de sa fonction : il doit à la fois maîtriser les concepts d’une discipline émergente et en perpétuel mouvement, construire des réponses pragmatiques à la frontière d’un corpus théorique et pratique multivoque, mais surtout être en permanence à l’écoute de ses interlocuteurs pour repenser, reformuler et re-cibler son expertise. C’est en cultivant cette attitude mêlant curiosité intellectuelle et écoute de l’autre qu’il peut proposer chaque jour une ingénierie système toujours plus au service des décideurs.  

 

    
Thomas Rigaut, IA
En poste depuis 2013 au département de Soutien Ingénierie et Architecture Système, Thomas Tigaut contribue à déployer l’Ingénierie Système à DGA Ingénierie des Projets.
 

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