Retour au numéro
Assemblage sur le site DCNS de Brest des 2 hydroliennes qui équiperont la ferme expérimentale de Paimpol-Bréhat
03 octobre 2015

RÉORIENTATION DE LA MAISON DCNS
OU COMMENT MARIER HISTOIRE ET MODERNITÉ DANS UNE ENTREPRISE DE PRÈS DE 400 ANS

Prendre des décisions quand on arrive à la tête d’un Groupe n’est jamais tâche aisée. Devoir transformer une maison de près de 400 ans tout en préservant ce qu’elle a de plus précieux – le savoir-faire et la fierté de ses collaborateurs – relève du défi et vous place, en tant que PDG, face à vos responsabilités, interroge votre leadership et nécessite humilité et respect.


Lorsque j’ai pris la tête du groupe DCNS, il y a un peu plus d’un an, j’ai redécouvert une maison que j’avais bien connue, pour y avoir fait mes premiers pas dans la vie professionnelle. C’était pour moi une grande fierté de revenir dans ce groupe qui avait beaucoup changé, depuis sa privatisation dix ans auparavant. C’était aussi un défi, car je revenais avec une mission très claire : redresser les comptes de l’entreprise, dans le rouge, et accélérer son développement à l’international.

Je savais que la tâche qui m’était confiée ne serait pas simple. Je revenais pour faire bouger les lignes et moderniser cette maison qui, pour assurer son avenir, devait encore se défaire de ses vieux restes d’administration et de certaines lourdeurs de son organisation. J’étais celui qui devait moderniser l’image vieillotte d’un groupe héritier des arsenaux de Richelieu et donner « un coup d’accélérateur » pour mener un changement rendu indispensable par la réduction des budgets de défense et le durcissement de la compétition internationale. J’étais celui qui devait faire accepter ce changement dans une maison caractérisée par sa longue histoire et le profond attachement que lui portent ses collaborateurs.

Le temps, facteur-clé de la prise de décision

La première chose à faire selon moi quand vous prenez les rênes d’une entreprise, quelle que soit la connaissance que vous croyez en avoir, c’est de prendre le temps de la découvrir – de la redécouvrir, dans mon cas. C’est donc ce que j’ai fait. Je suis allé sur tous les sites du Groupe, de Cherbourg à Toulon en passant par Brest, Lorient, Ruelle… Je suis allé rencontrer les collaborateurs qui travaillaient dans les ateliers, sur les chantiers, dans les bureaux d’études, et j’ai eu la chance de parler avec des hommes et des femmes avec des compétences techniques exceptionnelles, passionnés par leur métier, par leur groupe et prêts à mouiller leur chemise pour aller de l’avant.

La FREMM Tahya Misr livrée par DCNS à la Marine égyptienne en juin 2015.@ DCNS

J’ai rapidement compris que les problèmes principaux n’étaient pas techniques. Plusieurs audits menés en interne ont permis d’identifier les dysfonctionnements majeurs qui impactaient les résultats de DCNS : problèmes de maîtrise des coûts et des délais sur des programmes longs et complexes comme le Barracuda, lourdeur des process et de l’organisation, manque de culture économique et de vision « clients »…

Ces dysfonctionnements identifiés, j’ai tenu à les partager en interne pour donner du sens au changement qui s’imposait. Dès le mois de janvier, je suis donc retourné sur l’ensemble des sites pour échanger avec les managers et leur présenter les premières mesures d’urgence pour redresser la barre : nouvelle organisation, remise de l’Industrie au centre du jeu, plan d’économies et plan de progrès pour améliorer notre performance, revue stratégique en cours pour préparer notre feuille de route pour les dix ans à venir.

Dialogue et transparence, clés de la confiance

Ce temps pris pour rencontrer les différentes équipes du groupe a été absolument nécessaire, bien que contraint par l’urgence qu’il y avait à agir pour retrouver profitabilité et croissance. Décider, ce n’est pas agir en solitaire, sous l’impulsion d’une inspiration divine. C’est savoir dialoguer, comprendre et convaincre, et enfin s’entourer.

C’est ce que j’ai fait en décidant de faire évoluer l’équipe de direction. Le changement vient toujours du haut. Comment voulez-vous entrainer avec vous 13 000 collaborateurs si vous n’êtes pas capable de faire bouger les lignes au sommet ? J’ai choisi de m’appuyer sur une équipe de direction équilibrée entre des « anciens », fins connaisseurs de la maison DCNS, et des « nouveaux », venus de l’extérieur pour apporter de nouvelles expériences. C’est ensemble que nous avons initié le plan de progrès et défini notre plan stratégique, je sais que je peux compter sur eux, et eux sur moi, pour conduire le changement.

DONNER DU SENS À VOTRE ACTION ET INSPIRER LA CONFIANCE

Mais le dialogue doit avoir lieu à tous les niveaux. Il passe par des rencontres avec le terrain, les clients, les actionnaires, mais aussi par des échanges réguliers et directs avec les partenaires sociaux, qui sont souvent les plus lucides sur la situation de l’entreprise et la nécessité du changement. Vous ne pouvez pas mener de transformation sans la confiance de vos équipes et de vos partenaires, et cette confiance ne se décrète pas. Elle se mérite. Dès mon arrivée chez DCNS, j’ai donc choisi d’être transparent. J’ai dit la vérité aux équipes, quitte à paraître un peu « brut de décoffrage ». J’ai pris le temps d’expliquer en interne que nos résultats étaient médiocres, que certains de nos fonctionnements étaient archaïques et que notre avenir serait conditionné par notre capacité à réagir, collectivement. Je ne voulais pas laisser traîner les choses, il fallait que les collaborateurs comprennent pourquoi le changement était nécessaire – maintenant.

La tâche n’a pas été facile. Lorsque vous venez de rejoindre une entreprise, votre légitimité en tant que PDG n’est pas acquise. Les mauvaises nouvelles ne sont jamais faciles à entendre et vous pouvez être suspecté de dramatiser volontairement la situation pour vous positionner en « homme providentiel ». J’ai parfois été frappé par la difficulté que pouvaient avoir certains managers, au plus haut niveau de l’entreprise, à ouvrir les yeux sur la réalité de nos résultats. C’est là que la confiance joue un rôle essentiel : tous les audits et tous les consultants du monde sont impuissants lorsqu’il s’agit de mobiliser 13 000 collaborateurs autour de vous et de leur dire « Suivez-moi ! ». Ce qui compte, c’est votre capacité à donner du sens à votre action et à inspirer la confiance nécessaire pour faire bouger les lignes. On parle beaucoup de « leadership » et c’est un mot qui a du sens. Il y a quelque chose de presque hormonal dans l’action de diriger. Vous mettez vos tripes sur la table et on décide de vous suivre ou pas. Et si c’est le cas, si les collaborateurs s’engagent avec vous, alors – eux aussi - ils donneront le meilleur d’eux-mêmes.

Aujourd’hui, il est encore trop tôt pour dire si nos choix ont tous été les bons. Nous sommes une industrie de long terme, et, pour certains de ces choix, c’est mon successeur qui vous le dira ! Ce que je sais, c’est que le Groupe est en ordre de marche pour opérer un retour à l’équilibre en 2015, avec une feuille de route ambitieuse mais réaliste pour la prochaine décennie, qui mobilise toutes nos équipes pour atteindre en 2024 un chiffre d’affaires de 5 milliards d’euros dont 50 % hors de France et réaliser 8 % de résultat opérationnel courant.

Décider : un engagement personnel 

Vous l’aurez compris, ma méthode est simple et se veut la plus directe possible : je n’ai pas de « vérité » à imposer, je m’appuie sur l’expérience acquise au cours de ma carrière et la confiance dans l’équipe de direction et des collaborateurs dont la compétence est exceptionnelle pour agir avec pragmatisme et célérité.

La prise de décision s’appuie sur la concertation et le dialogue, mais c’est au final un engagement personnel et le leadership consiste à être capable d’arbitrer, de prendre des décisions difficiles et d’y faire adhérer ses équipes.

Mais engagement personnel ne veut pas dire personnalisation du pouvoir. Je suis contre le culte du « héros », incompatible selon moi avec l’humilité que demande la fonction de dirigeant d’entreprise. Je garde à l’esprit que je ne suis à la tête de DCNS que pour quelques années. Cinq ans sur 400 ans d’histoire : cela permet de prendre toute la mesure de la mission !

 

    
Hervé Guillou, IGA
Après l’X, l’ENSTA, l’INSTN et l’INSEAD, Hervé Guillou commence sa carrière en 1978 au sein de la DCN. En 1989, il devient conseiller, puis directeur de cabinet du DGA avant d’être nommé en 1993, Directeur du programme international de frégates antiaériennes Horizon. En 1996, il devient Directeur général délégué de Technicatome et rejoint EADS dès 2003 en tant que Président directeur général d’EADS Space Transportation, puis de la Business Unit Defence and Communications Systems devenue Cassidian Systems. Le 23 juillet 2014, il est nommé Président directeur général de DCNS.
 

Auteur

Articles liés par des tags

Commentaires

Aucun commentaire

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.