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"Socrate l'accoucheur" Socrate et Alcibiade (1776) par François-André Vincent
07 octobre 2015

FAIRE CRISTALLISER LES DÉCISIONS

Confronté à un environnement complexe, incertain et souvent à une très grande masse d’informations brutes, les équipes de direction peuvent avoir besoin d’être aidées. Comment arrive- t–on à créer des dynamiques de (bons) choix ? Adrien, Partner chez Emerton et professionnel de l’aide à la décision, nous fait part de son expérience.


Une nouvelle de Borges (Funes ou la mémoire) raconte l’histoire d’un homme d’une mémoire totale. Le héros Funes se souvient littéralement de tout : par exemple de la forme des nuages tel jour à telle heure ou encore des multiples expressions d’un visage au cours d’une conversation. Son extraordinaire don le rend pourtant incapable de comprendre le monde. Il ne peut par exemple concevoir le terme de « chien » qui, pour lui, recouvre d’innombrables réalités distinctes. Incapable d’oublier, Funes ne peut généraliser, classer et donner des priorités à l’information qu’il emmagasine … donc bien sûr il est totalement inapte à la décision.

Cette fiction m’a, je dois dire, assez profondément éclairé sur le rôle et la valeur du métier du conseil en stratégie que j’exerce avec passion depuis 11 ans (sur les 20 de ma carrière jusqu’à présent).

Aider utilement celui qui sait à choisir

Premier point en apparence très paradoxal : ce n’est pas forcément celui qui possède la connaissance la plus complète qui est le mieux à même de prendre des décisions. Autrement dit, et je pense que cette formulation nous rapprochera d’une vérité plus intuitive, décider implique une capacité à oublier les vicissitudes du passé et du présent et en un mot à prendre un certain recul par rapport à l’action. Il n’est donc pas du tout absurde, loin s’en faut, que celui qui sait ait besoin d’aide pour formuler des choix…

Notre métier dans les cabinets de conseil en stratégie, c’est précisément celui-là : aider les manageurs expérimentés à faire des choix, rapides et justes de préférence – ou disons, car c’est bien l’objectif, moins faux et moins lents que ceux des concurrents… Nos clients sont des décideurs ayant des enjeux de toutes tailles, mais les choix que l’on nous demande d’éclairer ont un point commun : ils sont toujours critiques pour le succès d’entreprises, l’avenir de salariés et la confiance d’actionnaires.

Cristalliser la décision : quelques principes appliqués

Fort de quelques années d’expérience, je me permets ici de citer ce que je crois être quelques principes importants pour efficacement aider à la cristallisation de décisions. Ils sont en tout cas ceux que je m’applique tous les jours…

• Pertinence. Je commence par un petit truisme (vous m’en excuserez) : répondre à la question posée et uniquement à celle-là… Pas de détours, pas de 3ème chiffre significatif quand ce n’est pas utile, pas de blocs d’analyse prêts à l’emploi, ou pire, de réponses « prémâchées » : vous serez forcément « à côté de la plaque ».

• Vitesse. Ce point est dans la pratique très lié au précédent : plus nous sommes pertinents, plus nous allons vite dans nos analyses et plus notre client pourra en retirer un avantage concurrentiel tangible. Autre vecteur significatif de vitesse : la connaissance métier, basique mais suffisamment profonde pour comprendre rapidement, parler le langage de son interlocuteur et éviter la minutieuse réinvention de la roue.

• Collectif. Parce ce j’ai vu peu de personnes avoir raison seul contre tous et pas un seul joueur traverser tout le terrain pour marquer : faire circuler le ballon, les idées et les documents… Attention ! collectif veut dire aussi « chacun à sa place ». J’ai vu trop de matchs perdants joués avec 11 milieux de terrains offensifs et des exercices d’écriture collective consensuels se terminer en indigeste « bouillie pour chat » ; le consultant apporte de l’information extérieure, secoue des idées, donne de la perspective, etc. L’expert apporte son expertise, le commercial sa vision commerciale et ainsi de suite.

• Simplicité. La réalité est complexe certes, mais il est indispensable de la cadrer et de distinguer bien en amont ce qui, pour répondre à la question posée, sera fondamental, accessoire ou inutile. Ceci étant débroussaillé, une décision repose presque toujours sur quelques critères essentiels simples. J’applique à nos équipes et à moi-même une règle très empirique qui dit que « si la solution n’est pas limpide, c’est que nous n’avons pas encore assez bossé ».

• Pragmatisme. Je terminerai par ce point qui pour nous - ingénieurs français formés à l’abstraction - n’est pas franchement naturel en évoquant une petite anecdote personnelle et initiatique. Alors que je présentais beaucoup de graphes et de beaux schémas au directeur financier d’une grosse société américaine, celui-ci, sans avoir posé la moindre question pendant l’heure et demie de présentation a conclu en disant quelque chose que je ne peux dire qu’en anglais « It’s all very good Adrien, but not real. Make it real ! ». Depuis ce moment, je ne conçois plus aucun document, plus aucun graphe, sans me poser la question « is it really, really real ? ».  

 

Sancho Panza, le modérateur

Don Quichotte et Sancho Panza (1930) par Lorenzo Coullaut Valera

 

 

 

    
Adrien de Durfort, IPA
Ayant débuté comme Ingénieur de l’Armement dans les systèmes navals, Adrien de Durfort a ensuite rejoint le conseil en stratégie (Mars & Co) puis a occupé divers postes de direction dans le secteur de l’exploration pétrolière (CGG). Il est aujourd’hui Partner au sein du cabinet de conseil en stratégie Emerton où il conseille des dirigeants dans les secteurs de l’énergie et de la défense.
 

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