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02 octobre 2015

AIMER DÉCIDER, APPRENDRE À DÉCIDER,

Publié par JEAN-PAUL HERTEMAN | N° 107 - Profession décideur

Dans le monde professionnel, deux types de tempéraments émergent assez rapidement, les décideurs et les analystes. Les premiers ont bien sûr besoin des seconds pour se faire une opinion en toute connaissance de cause. Il est possible, mais peu fréquent, de rencontrer chez une même personne ces deux caractéristiques. Plus l’analyste aura de paramètres à présenter, plus durs seront les choix à faire, le décideur ayant à hiérarchiser ces éléments. L’analyste peut se perdre dans les ramifications des possibilités, le décideur devra choisir, trancher.


De mon point de vue, ces tempéraments ne se décrètent pas ; ils correspondent à des goûts, voire des talents personnels. L’expérience professionnelle permet naturellement d’améliorer cette donne initiale. De ce point de vue, les différentes responsabilités, techniques, financières, administratives, humaines, confiées à de très jeunes ingénieurs de l’armement, à peine sortis d’école, est extrêmement formatrice. Je crois très difficile de trouver l’équivalent ailleurs, que se soit dans le secteur public ou privé. C’est un avantage considérable de la DGA. Ensuite c’est l’ensemble de la vie professionnelle qui forme.

Dans mon cas, je reviendrai volontiers sur deux expériences particulières. La première est liée aux fonctions que j’ai exercées dès le début de ma carrière, au CEAT, où j’ai immédiatement été amené à gérer une petite équipe, à traiter des difficultés à tenir un calendrier, à résoudre les problèmes techniques que posent souvent les expérimentations et les essais complexes, bref à entrer très rapidement dans du concret, à faire soi-même. La deuxième est liée au partenariat exemplaire entre Snecma et General Electric qui m’a convaincu des bénéfices de la simplicité des organisations et du pragmatisme, caractéristique forte des Américains qui résulte, je pense, de leur mode d’enseignement universitaire.

Il est des décisions qui sont, bien qu’« évidentes » du point de vue économique et industriel, vraiment difficiles à prendre. Ce sont toutes celles qui ont des conséquences immédiates sur les hommes, leur emploi, leur vie. Redimensionner une équipe, cesser une activité, regrouper et relocaliser des ateliers, former, reconvertir et accompagner les personnes, …, tout cela à décider pour la santé de l’entreprise elle-même, ne peut se faire sans un important volet social et en prévoyant d’y consacrer tous les moyens nécessaires. J’ai eu la chance d’être dans un groupe qui a cette culture, qui avait traversé des périodes très difficiles, et réussi à se redresser par ses propres moyens sous l’impulsion de Jean-Paul Béchat, et dont la charge a continué à croître, ce qui lui a permis de continuer à évoluer.

Cette évolution du groupe résulte de décisions stratégiques dont certaines, à l’origine, n’avaient pas été comprises par quelques analystes financiers. Safran est en effet né de la fusion entre Sagem et Snecma, union qualifiée de mariage de la carpe et du lapin. Mais en dehors du secteur téléphonie mobile de Sagem, incapable de résister à la pression technologique et financière des grands groupes qui dominent ce marché, il y avait des compétences techniques et technologiques remarquables dans les domaines de la Défense et de la sécurité. L’activité Défense du groupe a ainsi pu être renforcée et un troisième pôle constitué avec la sécurité.

Clairement, des décisions de cette nature, conduisant à la vente d’activités, à la redistribution de charges vers les centres perdant les débouchés correspondants, à des restructurations profondes pour exploiter totalement les synergies potentielles, nécessitent de la part des équipes, confiance, compréhension et adhésion. Selon mon expérience, le personnel réagira d’autant mieux qu’il percevra le « patron » comme un des leurs et qu’il sera reconnu comme légitime par les plus compétents.

Une entreprise industrielle à longs cycles, dont la clientèle est soit étatique soit industrielle (pas grand public), fondant ses succès commerciaux sur ses avancées technologiques et ses compétences techniques ne peut se gérer sans que la direction générale ait une très grande connaissance de tous les domaines de la société, et une bonne appréciation des techniques en jeu. C’est pourquoi il me semble primordial de faire faire un parcours des plus larges aux futurs décideurs d’un tel groupe. J’ai eu le bonheur de suivre un tel parcours, sans rester plus de 2 à 4 ans avec les mêmes responsabilités. Cette mobilité peut être jugée comme frustrante puisque l’on a peu la possibilité de voir de près les conséquences de ses décisions, mais c’est extrêmement formateur et ça permet de plus d’être réellement connu, voire reconnu, d’un très grand nombre de personnes de l’entreprise dans laquelle on travaille et qu’on pourra être amené à diriger.

La compétence technique est indispensable dans un groupe comme Safran, mais elle ne suffit pas. Il faut aussi être capable de bien comprendre les enjeux financiers, surtout lorsque se pose la question des risques de change, les subtilités fiscales comptables, encore plus lorsque les règles sont complexes, parfois changeantes et même internationales. C’est là que la notion d’équipe dirigeante prend tout son sens, l’ensemble des connaissances à maîtriser dépassant la capacité d’un seul ; mais il est impératif de comprendre ce que les membres de l’équipe soutiennent.

C’est aussi pourquoi l’écoute des autres est évidemment un élément clé d’une direction efficace ; il ne faut cependant pas sous-estimer l’importance du simple bon sens, souvent seul capable d’éviter de commettre une erreur. Quoi qu’il en soit, décider restera toujours une forme de pari sur l’avenir, plus ou moins bien éclairé par des analyses au sein desquelles les critères à sélectionner n’apparaissent pas toujours de façon immédiate.

Aimer décider, c’est aussi, d’un point de vue personnel, aimer avoir des défis à relever, avoir la volonté de faire réussir l’organisme que l’on dirige bien avant celle de réussir soi même, et vouloir laisser derrière soi une situation encore meilleure que celle que l’on a trouvée.   

 

Auteur

JEAN-PAUL HERTEMAN

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