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La cour d’honneur du site Marcelin Berthelot et sa statue de Jean-François Champollion
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18 octobre 2021

LE COLLÈGE DE FRANCE
CINQ SIECLES DE RECHERCHE ET D’ENSEIGNEMENT

Qu’est-ce que le Collège de France ? Combien savent vraiment quelle place occupe cette Institution dans le paysage académique français ? 


Petit retour 500 ans en arrière d’abord. 

Créé sous le nom de Collège Royal par François Ier en 1530, sa mission et son caractère central dans l’enseignement supérieur et la recherche n’ont finalement pas beaucoup changé depuis cinq siècles. Situé en plein cœur du Quartier latin, jouxtant la rue des Écoles et la rue Saint-Jacques, enserrée entre la Sorbonne et le Lycée Louis-leGrand, le Collège occupait déjà une place singulière, en cultivant un esprit de liberté et d’indépendance fondé sur l’humanisme et en opposition avec le conservatisme de l’Université voisine, alors sous la mainmise des théologiens. C’est ainsi qu’il fut doté, dès sa fondation et malgré l’absence d’édifice jusqu’en 1610, de chaires d’enseignement, tenues alors par douze « Lecteurs Royaux » nommés par le roi. Soucieux de ne pas entrer en concurrence avec l’Université, le Collège n’a jamais délivré de grade universitaire et reste aujourd’hui le seul grand établissement où il n’y a ni examen, ni diplôme, ni étudiant.

L’enseignement, sur tout et ouvert à tous.

Si ces caractéristiques fondatrices de l’Institution ont survécu aux siècles, le Collège de France compte désormais près d’une quarantaine de chaires statutaires et une douzaine de chaires annuelles et internationales, qui couvrent tous les champs du savoir, des mathématiques à la linguistique et à l’étude des civilisations, et sont proposées par leurs pairs lors d’Assemblées générales et ensuite attribuées à un nouveau Professeur nommé par le Président de la République. Afin d’assurer le renouvellement de l’enseignement, il n’existe pas de chaire permanente mais, à l’occasion d’un départ, chaque chaire peut être transformée en une nouvelle sans aucun rapport thématique, uniquement en fonction des derniers développements de la science. Aucun grade n’est d’ailleurs requis pour devenir Professeur ; seules comptent l’originalité et l’importance des travaux, même si les prétendants sont généralement tous des chercheurs ou intellectuels de stature internationale. Le Collège a ainsi vu passer entre ses murs une dizaine de prix Nobels et cinq médailles Fields, d’Henri Bergson à PierreGilles de Gennes, en passant par François Jacob, Alain Connes ou Serge Haroche, pour n’en citer que quelques-uns. Quant aux médailles et autres prix prestigieux obtenus par les titulaires actuels, il ne suffirait pas de ce magazine pour en faire la liste complète, mais notons, à titre d’exemple, que les deux médailles d’or du CNRS cette année ont été décernées à Françoise Combes et Jean Dalibard, tous deux Professeurs à l’Institut de physique. Par ailleurs, le Collège se répartit désormais sur cinq sites à Paris, conservant ses bâtiments historiques donnant sur la place Marcelin Berthelot pour les enseignements à destination du public, qui sont accessibles à tous sans restriction. 

Car c’est peut-être là que réside la plus grande spécificité du Collège de France : les enseignements y sont publics et chacun peut venir suivre un cours - en français - sans inscription préalable, ou assister à l’un des colloques interdisciplinaires et internationaux qui sont organisés annuellement par les Professeurs. 

Les sciences pour tous

Tous ces cours et colloques sont désormais enregistrés et accessibles en ligne sur le site du Collège www.college-de-france.fr, et l’on peut aussi retrouver 40 leçons inaugurales en podcast sur France Culture.

Beaucoup ignorent que tous les ans, l’enseignement doit être entièrement renouvelé, ce qui demande à chaque Professeur un temps de préparation très conséquent, surtout lorsque les cours commencent à sortir du champ direct de sa recherche.

Mais le cours le plus marquant dans une carrière de Professeur du Collège de France reste très certainement la leçon inaugurale, qui introduit la thématique de ses travaux et de son enseignement pour plusieurs années ; ce moment - auquel j’ai déjà eu la chance d’assister plusieurs fois - constitue bien plus qu’une leçon, c’est l’occasion de réunir tous ses collègues et une communauté scientifique et intellectuelle dans un moment solennel, qui prend souvent la forme d’une formidable épreuve initiatique, même pour un scientifique averti...

Une recherche libre et avant tout fondamentale.

La deuxième pierre angulaire du Collège de France est la recherche, qui est le pendant indispensable à un enseignement de pointe et toujours renouvelé. Cette recherche est d’abord caractérisée par son caractère fondamental et la liberté des sujets d’investigation. Le Collège accueille ainsi l’équipe ou le laboratoire des Professeurs qui en font le choix, les autres préférant rester travailler dans leur Institution d’origine, telle que l’Institut Pasteur, l’EHESS, l’École Normale Supérieure ou une Université étrangère. Mais le Collège de France accueille également, depuis près de dix ans maintenant, de jeunes équipes dans ses Instituts de Biologie et de Physique, équipes qui y sont hébergées et intégrées sur un programme à moyen terme, tout en restant associées aux organismes de recherche nationaux (CNRS, Inserm…). Ces jeunes équipes bénéficient de la même liberté de recherche, et participent à son dynamisme et à l’interdisciplinarité, ainsi qu’à la pérennité de plateformes et ressources technologiques coûteuses mais indispensables à une recherche de pointe. C’est dans ce cadre que j’ai eu la chance d’intégrer, fin 2017, cette magnifique maison. Alors post-doctorant à Heidelberg en Allemagne, j’ai répondu à un appel d’offres international pour créer ma propre équipe au sein du Centre Interdisciplinaire de Recherche en Biologie (CIRB), un laboratoire également affilié au CNRS et à l’Inserm et créé sous l’impulsion du Professeur Alain Prochiantz, neurobiologiste et Administrateur du Collège de 2015 à 2019. Le CIRB accueille ainsi aujourd’hui une vingtaine d’équipes réunies autour de diverses questions de biologie au sens très large, de la microbiologie à la biologie du développement, en passant par les neurosciences, les mathématiques de l’évolution et la biophysique. L’équipe « Physique multi-échelle de la morphogenèse » que j’ai créée s’intéresse quant à elle à la question de l’émergence des formes en biologie, en particulier lors des toutes premières étapes du développement embryonnaire, en combinant modélisation physique, mathématiques appliquées, mécanique et sciences numériques. Mon équipe accueille aujourd’hui une dizaine de jeunes chercheurs, doctorants et post-doctorants, profite d’un environnement scientifique et de travail exceptionnel, et notre recherche est sans aucun doute inspirée par l’interdisciplinarité exceptionnelle qui caractérise le Collège de France. Comment, en effet, ne pas être traversé par des idées originales quand on peut suivre en parallèle, et sans se déplacer, les cours de biophysique de Jean-François Joanny (mon ancien directeur de thèse), de sciences de données de Stéphane Mallat (X81) ou de dynamique du vivant par Thomas Lecuit ? Ce carrefour des disciplines a sans doute participé à l’obtention par mon équipe en 2021 d’une bourse ERC Starting grant (European Research Council), dont le but est de « rétro-ingénier » le développement embryonnaire en combinant approches physiques et méthodes d’intelligence artificielle. Ce financement me donne désormais les ressources nécessaires pour mener à bien un projet scientifique ambitieux sur cinq ans, dans un lieu prestigieux et entouré de scientifiques inspirants et bienveillants. 

Une Institution qui vit avec son époque.

Le Collège de France n’est donc pas qu’une institution flanquée de traditions anciennes, qui ne serait composée que de savants érudits, reclus dans leur tour d’ivoire, mais bien un lieu où se créé et se transmet un savoir vivant, ouvert au public et au monde. C’est un lieu qui a traversé les siècles en s’adaptant à son époque, tout en conservant sa spécificité, sa liberté et sa réputation d’excellence. Contribuant très largement à la diffusion du savoir au plus grand nombre, lieu d’enseignement unique au monde, c’est aussi une communauté d’intellectuels qui s’engagent dans les débats de société comme l’illustrent les nombreuses interventions de Professeurs dans les médias, et la mise en place du programme PAUSE, qui accueille depuis 2017 des chercheurs du monde entier contraints à l’exil.

En bref, je ne saurais que trop vous recommander de venir un jour vous asseoir, le temps d’une leçon inaugurale, dans l’amphithéâtre Marguerite de Navarre, loin d’un quotidien parfois pollué de fausses informations et de pensées toutes faites. Et si pour cela le temps vous manque, vous saurez trouver, j’en suis sûr, dans l’immense collection de cours déjà en ligne, de quoi satisfaire une curiosité insatiable.

 

    
Hervé Turlier
Après un master en physique de la matière molle et un doctorat en biophysique théorique à l’Institut Curie, Hervé Turlier (X06) réalise un post-doctorat au Laboratoire Européen de Biologie Moléculaire à Heidelberg en Allemagne. Fin 2017, il créé l’équipe de recherche « Physique multi-échelle de la morphogenèse » au Collège de France, au sein du CIRB, un laboratoire affilié au CNRS et à l’Inserm. Chargé de recherche, Centre National de la Recherche Scientifique
 

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