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Risque d’isolement : le savant Cosinus, toujours distrait...
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18 octobre 2021

QUAND LA DGA ÉTAIT SAVANTE
POURQUOI ET COMMENT ON SE PASSE MAINTENANT D’ÉCHANGES SAVANTS : RISQUÉ !

Sans internet !

Une des questions essentielles des IA est la connaissance et l’intégration des nouveautés techniques : la compréhension de ce qui est accessible et faisable, et l’ingénierie multi-disciplinaire. Dans l’ancien temps, c’est-à-dire avant l’arrivée de l’informatique généralisée (diffusion massive par internet, réseaux informatiques internes et externes), on notait plusieurs approches :

- La hiérarchie imposant la méthode et les sources de savoir : pas très motivant, mais efficace si les changements ne sont pas trop rapides. En régime stationnaire (pas d’innovation), c’est même le moyen presque parfait. C’est aussi un obstacle aux heureux hasards, à la sérendipité.

- La recherche, par des thèses ou des affectations dans l’un des nombreux centres de recherche. Rien qu’à la DTCN (Direction technique des Constructions Navales), on en comptait une dizaine, tous à la pointe de la technique mondiale. Les IA avaient des liens privilégiés avec les laboratoires français et étrangers, où ils séjournaient parfois suffisamment souvent pour y créer des relations personnelles suivies. La liste complète, Centre technique d’Arcueil en tête, serait très longue. Dans ce cadre, on peut dire que les personnels de la DGA étaient «savants», mais pas que la DGA était savante !

-  Les échanges ouverts internes à la DGA ou avec les institutions proches, ONERA et centres de recherche de sociétés de défense, dans un mode assez proche de celui des sociétés savantes décrites tout au long de ce magazine. En voici quelques illustrations :

• La RSTD, Revue Scientifique et Technique de Défense (et la revue scientifique et technique de la DAM, toujours éditée)

• Les cahiers du Cethedec (Centre d’études théoriques de la détection et des communications), de 1964 à 1984, soit 79 numéros

• Le revue de l’ATMA, encore vivante depuis 1889

• Les groupes de coordination technique qui, au-delà de leur intérêt concret de pêche au financement dans de petites luttes intestines, suscitaient de fructueux échanges scientifiques et techniques et initiatives de communications scientifiques.  

• Les prix (Brard, Chanson, Paul Vieille), même s’ils étaient plutôt confidentiels quant à la diffusion détaillée des thèmes traités.

Le point commun à ces approches (sauf la première !) est l’accès à des présentations hors du strict domaine des lecteurs et auditeurs, à condition pour eux d’avoir un peu de temps et de curiosité. On peut toutefois noter que les échanges avec le monde académique ou le transfert vers le grand public étaient relativement limités, en large partie en raison de la spécificité ou de la confidentialité des techniques. 

C’est ainsi que sont nées des innovations par communication et échanges entre « sonaristes » et « radaristes », ou tout simplement la pérennité d’une passion pour les solutions élégantes dans les conférences de l’ONERA.

Lors des premières études dites «ARMEL» sur les futures armes laser, des présentations devant une large audience (au départ attirée plutôt par la curiosité) ont permis d’élargir très vite la liste des solutions et des effets possibles, voire de corriger des erreurs manifestes. Il s’agit bien là de communications au sein d’une société savante. A l’opposé, certains s’offusquaient de l’absence d’ouverture technique sur des sujets très classifiés, conduisant à des prises de risque discutables.

Bref, la diffusion interne des connaissances était facile… pour ceux qui le souhaitaient. Dans le dictionnaire de l’Académie, savant signifie «qui sait» mais aussi «qui est bien informé». Ce sont donc ces deux termes qui étaient pleinement satisfaits.

Certes, le retour sur investissement n’était pas toujours là : si des domaines sont tombés dans l’oubli, c’est avec une faible transmission à l’industrie ou de faibles interfaces extérieures : on n’a alors que des savants, pas une DGA savante : missiles à Ruelle, balistique interne à Gâvres.

 

RSTD : était-ce vraiment lu ?

Un risque : la perte de capacités par l’isolement  

Les grands projets complexes ne peuvent pas être menés sans échanges sur l’incertain et les découvertes, en dehors de toute obligation hiérarchique : la couche savante se structure en cluster, sorte de société savante éventuellement tenue au secret. Est-il nécessaire que les managers soient dans la boucle savante ? Ou encore, faut-il y connaître quoi que ce soit pour piloter un projet? L’expérience montre que non, jusqu’à ce que des difficultés incompréhensibles surviennent ! Mais à l’opposé, on ne peut rester entre savants : le projet Manhattan avait besoin d’industrie de masse, à la participation de laquelle les chercheurs étaient opposés, pensant pouvoir produire seuls le plutonium en quantité suffisante.

Dans les entreprises, les perles passent parfois sous l’horizon radar des décideurs : danger, on ne sait plus pourquoi ça marche. Pour les maintenir en vie, un bon moyen est de faire partager la passion par des «étrangers» au domaine strict. Faute d’appliquer cette ouverture, au moins trois exemples de société d’armement très connues en ont fait la décevante expérience. Une petite équipe isolée, à la pointe de son domaine, peine à rester au-dessus des effectifs suffisants pour assurer sa survie. Et alors paradoxe, c’est l’intervention de correspondants hors domaine mais plus célèbres qui convainc les décideurs de poursuivre et de soutenir l’activité, pour un coût parfois négligeable.

Plus généralement, le risque est de tout perdre, en s’appuyant sur des connaissances qui ne sont plus traçables : manque de souveraineté, excès de confiance dans les outils informatiques.

Quelques regrets

Alors qu’il y a bien des échanges internationaux dans des domaines duaux, il n’y a pas de société savante proprement européenne, même si l’Académie de l’air et de l’espace est sur la bonne voie; peu d’échanges entre DGA et ses équivalents étrangers, simplement parce qu’à de rares exceptions près (dont fait partie la DGA), les agences d’acquisition d’armement ne sont pas savantes, n’ont pas d’appétence pour la science et la technique.

Dans ses récentes propositions, le Cercle des économistes dit (Axe 4) : «Construire une société animée par la connaissance scientifique». En réalité, il s’agit aussi d’animer la connaissance scientifique ! Il faudrait ainsi refondre l’organisation de la recherche en cassant les silos existants entre grandes écoles, universités et centres de recherche pour en faire, sur le modèle allemand, des fondations qui peuvent accueillir des financements, lever des fonds massivement et porter des projets de recherche à long terme et ambitieux. 

Tout devient savant… ou compliqué :

Du spectre réglementaire des éclairages de vélos (selon une règlementation européenne introuvable) à la norme d’échantillonnage pour la mesure par transformée de Fourier rapide de la sonorité des «pin pon» des ambulances, les décisions sont parfois savantes. La simple définition de la valeur des unités est affectée d’incertitude quantique (on ne peut pas connaître avec précision la valeur de la seconde si on dit où et quand on la mesure).

Bien sûr, il ne s’agit pas de l’inutile complexité dont les textes du JO ont le secret, et qui ne sont en rien issus d’échanges savants : les quelque 300 tarifs différents de l’autoroute A86, le calcul par logarithmes du rendement des poêles à bois, les fraudes aux calculs d’économie d’énergie (200 GWh dénoncés pour le seul mois d’août), les 250 taxes de toute nature dont le nombre ne décroît pas malgré les décrets de suppression.

Les très divers métiers d’IA demandent une curiosité perpétuelle. A défaut d’institution unique pour la satisfaire, branchons-nous sur les sociétés savantes, même et surtout hors de notre domaine ! Et, en plus, elles diffusent le plaisir de la connaissance !

Un rôle des sociétés savantes est de se souvenir du passé et de montrer les voies qui préparent le futur. En gros, c’est bien ce qu’offre notre magazine… 

 

Il y avait une dizaine de centres de recherche rien qu'à la DTCN

  • Pipady (transmissions, compatibilité électromagnétique),
  • Brusc (détection sous-marine), Cesda (radars et systèmes de défense antiaérienne),
  • Certsem (sous-marins et biologie hyperbare),
  • Capca (traitement du signale et automatisme),
  • Cerdan (discrétion acoustique),
  • Cetec (technologie des matériaux et technique de construction des sous-marins),
  • Gerbam (balistique et armes),
  • Gesma (guerre des mines et discrétion magnétique),
  • Bassin d’essai des carènes.

 

Auteur

Denis Plane, a commencé sa carrière sous le signe du naval à Toulon puis au STCAN. Passant par les missiles, le service technique des systèmes navals puis le service technique des technologies communes, il dirige la direction des programmes de la DGA jusqu’en 2003. Voir les 29 Voir les autres publications de l’auteur(trice)

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