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01 juin 2017

LE STATIONNAIRE : DANS QUELLE DIRECTION ?

 

LES ÉVOLUTIONS POSSIBLES DES VOILURES TOURNANTES, RÊVES ET RÉALITÉS


La prolifération des voilures tournantes

Quelle différence entre le premier hélicoptère français d’Etienne Oehmichen, datant de 1924, et le drone quadri-rotor qui commence à envahir nos espaces de loisirs ? Curieuse similitude de silhouette (photos) entre deux objets, en fait bien différents, de la grande famille des voilures tournantes, à un siècle d’intervalle: d’un côté un véhicule piloté longtemps indomptable et jugé complexe, de l’autre un instrument téléguidé aux multiples usages, et qui peut désormais être mis entre toutes les mains. Sa diffusion sans limites est pour le grand public un fait marquant de l’évolution des voilures tournantes. Il concerne une branche bien particulière et récente : les drones. L’expression « voilures tournantes » était tombée en désuétude dans les années 70, l’hélicoptère ayant attiré toute l’attention. Une autre branche, l’autogire, née en même temps que l’hélicoptère, a bien connu un début de succès avant la guerre mais reste aujourd’hui limitée à quelques aéroclubs. D’autres formules, dites « nouvelles », combinés ou convertibles, n’ont pas connu un réel développement. Pour caractériser l’évolution de la branche hélicoptères, branche maîtresse, un nom : Airbus/helicopters, fleuron de l’industrie française et européenne, leader mondial.

L’hélicoptère : une machine réputée complexe

Ce qui différencie un hélicoptère d’un avion, c’est la complexité de ses ensembles dynamiques : les rotors, les transmissions, la suspension, le système de commande. C’est une machine comportant de nombreuses pièces mobiles, agitées par la rotation des rotors, donc soumise à des sollicitations vibratoires importantes, sources d’inconfort, de problèmes de tenue mécanique et de soucis de maintenance. Son environnement aérodynamique, c’est le domaine de l’instationnaire, du décrochage, du transsonique, avec des interactions rotors - structure induisant des instabilités. La maîtrise de ces phénomènes, et du pilotage de la machine, n’a été véritablement acquise que peu de temps avant la deuxième guerre mondiale. L’hélicoptère a ainsi commencé son essor avec un demi-siècle de retard sur l’avion.

« LE DOMAINE DE L’INSTATIONNAIRE, DU DÉCROCHAGE, DU TRANSSONIQUE »

Le poids de l’histoire

L’industrie française des voilures tournantes, encore balbutiante à la fin des années trente, a été anéantie pendant la guerre. Elle renaît à partir de 1944 sous l’impulsion forte de l’Etat : mise en place d’un socle industriel (dans le cadre des sociétés nationales SNCASO, SNCASE...), contrats pour la réalisation de projets novateurs confiés à des équipes dynamiques. Un architecte pour cette reconstruction : la section Voilures tournantes du Service technique de l’aéronautique créée en août 1944 avec à sa tête l’Ingénieur en Chef de l’air Roger Garry, auquel a succédé François Legrand de 1948 à 1962. Celui-ci a ensuite dirigé le bureau d’études, puis la division Hélicoptères, de l’Aérospatiale. Le développement de l’hélicoptère a été porté dans une première période par le marché militaire. L’Etat actionnaire, l’Etat « mécène », mais aussi l’Etat client a donc joué pleinement son rôle dans la renaissance de l’industrie et le lancement des programmes. Mais le succès mondial des premiers hélicoptères français, l’Alouette II puis III (1ère génération), le Puma et la Gazelle (2ème génération), est à attribuer aux équipes d’ingénieurs qui ont conçu ces ma- chines. Ces programmes ont d’ailleurs été des succès aussi bien civils que militaires.

L’innovation technologique

Plusieurs facteurs ont permis à l’industrie française des hélicoptères de s’affirmer comme le leader européen, puis à ses descendants, Eurocopter puis Airbus/ helicopters, de se hisser au tout premier rang mondial. L’innovation est sans doute le plus important. C’est par le dynamisme et l’inventivité de ses ingénieurs que la division hélicoptères de l’Aéros- patiale a pu s’imposer face à ses concurrents jusque sur le marché américain. Les inventions des années 70 relatives aux moyeux rotors et l’introduction massive des matériaux composites dans les ensembles mécaniques et les structures, sans oublier le fenestron, sont des exemples emblématiques. Les chercheurs de l’ONERA ont apporté également leur part dans les progrès des rotors. Dans le domaine des matériaux, l’héli- coptère a largement rattrapé son retard sur l’avion, et a même été un précurseur.

Le cheminement international: de la coopération à l’intégration

Une première forme de coopération apparaît au lendemain de la guerre. En effet, un certain nombre d’ingénieurs allemands ont été intégrés aux équipes françaises de la SNCASE, la SNCASO et aussi de Turbomeca. L’exploitation de leur savoir-faire, et de celui des principaux constructeurs américains (Sikorsky) par l'intermédiaire de prises de licences, a contribué aux premiers succès des hélicoptères français. C’est ainsi qu’est conçue l’Alouette II en 1955 par l’équipe de Charles Marchetti avec René Mouille, réussite emblématique de toute l’histoire de l’aéronautique.

Un peu plus tard, c’est encore la technologie allemande qui est exploitée pour réaliser les pales « plastiques » de la Gazelle, novation majeure qui sera largement perfectionnée. Dans les années 1960, l’État a voulu mettre en place des coopérations dans le domaine de la défense. Concernant les hélicoptères, une coopération franco-britannique a été mise sur pied en 1967. Elle a cependant été construite sur la base de programmes purement nationaux, la Gazelle et le Puma conçus en France et le Lynx conçu en Grande-Bretagne. Cet accord n’a pas eu de prolongement.

Les années 1970 ont été marquées par de nouvelles tentatives de coopération européenne, avec des réussites mais aussi des échecs. Pour les hélicoptères, un accord global, signé en 1978 par un petit nombre de pays européens, a défini une répartition des programmes futurs entre les pays participants. Il a donné un cadre pour les deux coopérations majeures qui en ont découlé : la coopération franco-allemande sur le Tigre, et la coopération multilatérale entre des pays européens sur le NH 90. Il faut retenir que la mise en place de ces coopérations, processus qui n’a abouti finalement qu’en 1987, a été extrêmement laborieuse, et que ces programmes n’ont survécu que grâce à une très forte volonté politique. La coopération sur le programme Tigre a été déterminante pour l’avenir de l’industrie franco-allemande des hélicoptères. Les dispositions d’organisation et les méthodes de travail mises en place entre 1987 et 1989 sur ce programme ont servi de laboratoire d’essai pour former en 1992 la nouvelle société Eurocopter, fusion des divisions hélicoptères de l’Aérospatiale et de MBB. Ce parcours international a trouvé aujourd’hui son aboutissement dans Airbus/helicopters.

« COOPÉRATION FRANCO-ALLEMANDE SUR LE TIGRE ET MULTILATÉRALE ENTRE DES PAYS EUROPÉENS SUR LE NH90 »

La spécialisation entre civil et militaire - La croissance du marché civil

A partir de la fin des années 70, l’Aérospatiale développe une « nouvelle gamme », la troisième génération, essentiellement destinée au marché civil en forte croissance : le Super-Puma, le Dauphin et l’Ecureuil, et leurs dérivés. Malgré la crise économique du début des années 80, cette gamme a permis à l’Aérospatiale de devenir le premier exportateur mondial. Du côté militaire, alors que les avions avaient été élevés au rang de systèmes d’armes avec le Mirage 2000, les hélicoptères restaient encore de simples véhicules, quoique complexes. Un effort important, avec un soutien de l’État, a été consacré au développement d’une compétence système, grâce notamment aux crédits préparatoires à l’HAC, futur Tigre, et aux crédits de la DGAC, pour les applications civiles, avec le développement d’avioniques intégrées. L’hélicoptère a ainsi atteint un haut niveau de maturité, mais, n’en doutons pas, le progrès ne s’arrêtera pas là.

Les formules nouvelles (combiné - convertible)

Après une débauche d’expérimentations de formules diverses à voilure tournante dans la première moitié du 20ème siècle, l’activité sur les formules dites nouvelles a été relativement modeste dans la deuxième moitié. La formule « combiné » ou « hybride », déjà expérimentée en 1953 avec le SO 1310 Farfadet, a fait l’objet d’un nouveau démonstrateur, conçu par Eurocopter, le X3, qui repousse au-delà de 470 km/h la vitesse maximale. Le projet européen « clean sky 2 » devrait poursuivre cette exploration. La formule convertible (hélicoptère/ avion à rotors basculants), expérimentée en 1958 avec le Nord 500, reste encore au stade des études préliminaires et projets mais n’a pas atteint, du moins en France ou en Europe, la maturité, victime des arbitrages financiers et du marché. Les compétences et la technologie sont pourtant disponibles. Il faudra des circonstances plus favorables, et sûrement de l’audace, pour voir s’épanouir quelques rameaux sur cette vieille branche.

L’explosion des drones

L’intrusion généralisée de l’informatique, la miniaturisation des équipements électroniques et optroniques ont permis de développer des engins téléguidés à voilure tournante de toutes sortes. Ils sont utilisés par les protagonistes et dans la lutte contre le terrorisme. Ils se développent également dans le domaine civil, outils indispensables à la télévision et au cinéma, ou tout simplement gadgets pour s’amuser. C’est un vaste domaine qui entraîne de nouveaux défis : techniques, économiques, de sécurité. Ce n’est que le début d’une histoire riche de promesses, mais qui devra être maîtrisée !

    
Gérard Brétécher (X 68 – Sup’Aéro 73) a été formé aux techniques de l’hélicoptère au bureau d’études de l’Aérospatiale/DH. Il a été chargé de la préparation de l’avenir pour les hélicoptères à la DGA, puis des questions techniques de l’hélicoptère Tigre et directeur du programme. Il a été directeur adjoint du SPAé et Chef du Service du MCO à la DGA.
 

 

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