ÉLECTROENCÉPHALOGRAMME RETOUR VERS LE FUTUR ?
UNE MESURE DE LA CHARGE COGNITIVE PAR EEG BIENTÔT SUR LE TERRAIN
L’utilisation d’un électroencéphalogramme (EEG) exploitable date du début du XXe siècle. Depuis, l’EEG est devenu une des modalités de référence en neurologie et en neurosciences, à côté d’autres modalités de mesure de l’activité cérébrale comme par exemple l’imagerie par résonnance magnétique.
Activité cérébrale, l’EEG parmi d’autres modalités
L’électroencéphalogramme (EEG), exploitable depuis le début du XXe siècle est une modalité de référence en neurologie. L’EEG se caractérise par un faible encombrement, un faible coût et une relative facilité de mise en oeuvre, ainsi que par une excellente résolution temporelle, de l’ordre de la milliseconde, contrebalancée par une faible résolution spatiale. Difficile de mesurer directement en EEG ce qui se passe au milieu du cerveau, si l’on écarte les électrodes de profondeur.
Cette relative simplicité d’utilisation participe à faire de l’EEG une source importante de fantasmes : est-ce qu’on pourra lire dans les pensées voire les manipuler ? Décrypter les rêves ? Piloter un avion par la pensée ?
Plus sérieusement l’évolution des capteurs permet aujourd’hui leur utilisation sur un sujet en mouvement voire lors d’activités sportives. Des travaux innovants sur l’EEG sans contact sont en cours, l’objectif étant l’acquisition jusqu’à quelques dizaines de centimètres, comme c’est déjà le cas pour l’électrocardiogramme (ECG).
L’EEG, pour quoi faire ?
En conditions contrôlées, on a aujourd’hui mesuré l’EEG dans la plupart des situations, en commençant quand le sujet est immobile Type d’expérimentation « extrême », rendue possible avec l’arrivée des capteurs actifs à gel.
par le sommeil et la méditation, mais également quand il réalise des tâches cognitives, joue de la musique, pratique un sport comme la course, pilote des voitures ou des avions.
Des questions pour l’EEG :
• Où en est le sujet ?
• Est ce qu’il est encore en mesure d’accomplir sa tâche ?
• Est-ce qu’il va s’endormir ?
• Est-ce qu’il est débordé ?
• Est-ce qu’il est concentré sur sa tâche ?
• Est-ce qu’il a entendu et pris en compte ce signal d’alerte ?
Des questionnaires d’auto-évaluation peuvent fournir certaines réponses mais ils pâtissent de considérations sociales pouvant biaiser cette réponse : « ça ne se fait pas » de dire qu’on est fatigué, qu’on nous en demande trop ou qu’on n’y arrivera pas. Des procédures pour contrôler ces biais peuvent être mises en place mais la capacité d’adaptation des sujets fragilise cette contre-mesure : dans le domaine ferroviaire, le conducteur devait actionner régulièrement un dispositif de l’homme mort pour prouver qu’il ne dort pas. Il a été prouvé par EEG que les conducteurs peuvent dormir tout en actionnant le dispositif comme attendu. La difficulté à s’auto-évaluer dans certains cas est un autre désavantage des questionnaires. Prenons les conséquences d’une privation de sommeil : on sait qu’il en résulte des troubles de l’humeur, a minima de l’irritabilité, ou encore une détérioration du jugement pouvant favoriser la prise de risques.
Expérimentation de monitoring de charge cognitive à l’école de cavalerie de Saumur. Enregistrement multimodalités et multi-capteurs EEG. L’objectif était d’arriver à un algorithme n’utilisant qu’un signal d’EEG (2 capteurs).
Avantages et inconvénients
Parmi les avantages de l’EEG dans le domaine des facteurs humains, il y a la précocité de la manifestation des phénomènes. Ainsi pour un sujet somnolent, les marqueurs EEG de somnolence sont mesurables avant d’en observer des effets tels que le clignement des yeux. Autre avantage, les marqueurs EEG ont une certaine spécificité, alors qu’il peut être délicat de remonter d’une mesure à une cause pour d’autres modalités moins spécifiques.
Jusqu’à aujourd’hui, le principal désavantage de l’EEG est la fragilité du signal. De quelques µV pour un sujet éveillé, contre quelques mV pour un ECG.
La qualité de contact entre les capteurs et le cuir chevelu est donc critique, ce qui rend l’EEG encore inadapté aux contraintes opérationnelles. Mais la richesse de l’information contenue dans l’EEG devient de plus en plus accessible.
Évolution des capteurs
Beaucoup de chemin a en effet été parcouru depuis les premières électrodes « passives » à cupule, toujours en usage dans le monde médical. Une avancée majeure a été d’amplifier le signal directement au niveau du capteur, rendant l’acheminement du signal plus sûr. Cette nouvelle génération de capteurs, dits « actifs », se décline en deux familles :
- les capteurs actifs à gel, où le gel, du type de ceux utilisés en échographie, joue le rôle de conducteur et permet au sujet de se mouvoir sans rompre le contact. Les performances sont telles qu’elles nous ont permis de faire de la prédiction d’arrêt d’exercice physique (ergocycle) par épuisement, uniquement en se basant sur un unique signal d’EEG (Projet RAPID Meegaperf)
- les capteurs actifs secs, où il n’y a pas d’interface entre le capteur et le cuir chevelu. Ils ne demandent pas de préparation mais fournissent encore un signal de moins bonne qualité lorsque la tête du sujet bouge « trop ».
Bientôt des capteurs seront suffisamment souples pour que la pression d’un équipement de tête suffise à maintenir le contact, sans désagrément pour le sujet.
Évolution des méthodes d’analyse
Même si l’exploration visuelle de l’EEG est conseillée pour se familiariser avec le signal, l’idée est évidemment d’en faire le traitement automatique, à la fois pour éviter l’écueil de la variabilité inter-expert, mais aussi pour arriver à une technologie opérationnelle.
Le premier rôle des algorithmes est de pallier la qualité dégradée du signal, due aux mouvements du sujet en action. Cette réjection d’artefact, cruciale pour le traitement à suivre, consiste à repérer les moments inexploitables afin d’analyser ensuite les parties intactes du signal.
Les parties analyse et surtout classification ne sont pas plus simples, étant donnée la variabilité de l’EEG. Le terme devenu rustique de reconnaissance des formes (pattern recognition) est devenu IA et les performances ont suivi. Un risque est cependant apparu concomitamment : la perte de compréhension du fonctionnement de l’outil. Or selon le contexte, ne pas comprendre précisément le cheminement algorithmique qui aboutit à une décision compromet sérieusement la possibilité d’en maitriser les corrections et les progrès. Cette prise de conscience a eu lieu dans des domaines comme la défense ou le médical, et on voit des méthodes hybrides associant par exemple knowledge-based et deep learning pour prendre le meilleur de chaque technique.
L’algorithme EEG (Projet RAPID Cognicism) hisse l’EEG au niveau des autre méthodes, auto-évaluation et pupillomètrie.
Perspectives
L’évolution prometteuse des capteurs, ainsi que leur baisse de coût, sont les derniers verrous séparant l’EEG de sa banalisation. En la matière, le market-pull du monde du jeu vidéo pourrait apporter la dernière pierre à l’édifice. L’EEG glisserait alors de technologie de référence en labo à technologie de référence sur le terrain. Mais à l’avenir le monitoring ira au-delà du simple EEG, et passera par la fusion de plusieurs méthodes, indépendantes et complémentaires.
Après un doctorat à Télécom Paris et un post-doc à l’INSERM, il co-fonde PHYSIP SA en 2002. L’ambition sera d’en faire une passerelle entre les mondes académique et industriel, autour de la thématique du monitoring humain via l’analyse de l’activité cérébrale. Il assure depuis les fonctions de CEO et de directeur scientifique.
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