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Une conduite simplifiée sous plusieurs acceptions
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05 mars 2024

COMPLEXITÉ DE LA SIMPLICITÉ
TYPOLOGIE DES SIMPLICITÉS IHM EN CONCEPTION AUTOMOBILE

Publié par Xavier Chalandon | N° 131 - FACTEUR HUMAIN

Si la simplicité est souvent invoquée en conception des IHM, elle souffre d’une sous-définition engendrant quiproquos et contradictions. Une des problématiques est que la simplicité est multiple et relative : multiple selon le cours de l’expérience utilisateur et relative car éminemment située et contextuelle. Il convient donc d’essayer de clarifier les déterminants des différentes simplicités à intégrer.


Simplicité des premiers usages

Le graal de cette simplicité est l’intuitivité, i.e. un usage efficace et « évident » dès la première utilisation, sans avoir à passer par la médiation d’un raisonnement conscient.

Certaines propriétés facilitent les premiers apprentissages : les regroupements fonctionnels, la hiérarchisation des informations et commandes, un nombre limité de choix, le principe de la manipulation directe, la cohérence entre actions et effets, etc.

Mais le plus souvent, la compréhension immédiate est effective quand les signes de l’interface déclenchent des savoirs et savoir-faire que possède déjà l’utilisateur, qu’il met alors en œuvre de manière pré-réfléchie — d’où l’impression d’évidence.

L’intuitivité n’est donc pas une propriété « pure » de l’interface, mais plutôt une propriété émergente de la rencontre entre la technologie et les connaissances et compétences qui proviennent des apprentissages antérieurs et qui se sont sédimentées en routines perception / action. En conception, ce constat invite à confronter les grammaires d’interaction aux interactions de référence d’une population cible et surtout à éviter d’appeler un comportement non pertinent (fausses affordances).

Si l’intuitivité est souvent présentée comme une propriété incontournable, elle n’est cependant pas nécessairement la plus efficiente : par exemple, des commandes de type “raccourci” sont souvent peu intuitives mais permettent une interaction plus rapide au quotidien.

Simplicité au quotidien

La question ici est celle de l’efficience, du rapport entre l’efficacité et la charge induite par la réalisation de la tâche.

En conception IHM, il existe de nombreux principes pour améliorer cette efficience, aussi bien via les architectures physiques et digitales que via la mobilisation de la commande vocale pour des tâches complexes.

Mais en amont de ces considérations, il convient de caractériser les besoins de commander les systèmes : est-ce une préférence stable de choix du conducteur ou une nécessité de variabilité au cours de la conduite ? Dans le premier cas, un accès très direct n’est pas forcément nécessaire à condition que les choix faits soient mémorisés. Dans le deuxième cas, l’investigation doit porter sur le système commandé : peut-il prendre à sa charge tout ou partie du pilotage de la variabilité identifiée… jusqu’à une adaptativité éventuellement apprenante.

Il s’agit bien là d’ergonomie “système” pour laquelle certaines méthodes de validation sont à consolider, en particulier lorsque l’adaptation est évolutive sur la base d’IA apprenante.

Si la robustesse ne peut être obtenue, on reste avec une nécessité de système adaptable mais dont les caractéristiques des accès ne se valent pas toutes lors des interactions en conduite.

Simplicité en conduite (sécurité)

La simplicité vient ici d’un équilibre entre les demandes attentionnelles des interactions de conduite (avec les autres usagers de la route, l’infrastructure…) et celles des interactions en conduite (les consultations d’informations ou manipulations dans le cockpit). La mise en priorité des sollicitations se traduit par :

La déclinaison en conception des exigences européennes : limiter les détournements de regard par la position, la forme et la nature des informations, assurer la mise en priorité des informations de conduite, permettre la maîtrise de la dynamique de l’interaction par le séquencement possible des tâches, etc.

L’intégration devenue réglementaire de systèmes de surveillance de l’attention du conducteur, aussi bien en termes « capacitaires » (endormissement) qu’en termes d’orientation dynamique (direction du regard hors de la scène routière).

Souvent absente des réglementations, la question du contexte est pourtant clef, aussi bien en sécurité objective (accidentologie) que subjective (inconfort psychologique, sentiment de prise de risque) : En conception de cockpit, concernant l’accès direct : doit-il être facilement mobilisable quel que soit le contexte de conduite (ce qui pointe vers une commande physique) ou est-il acceptable qu’il ne le soit que dans des conditions de conduite stabilisées (ce qui peut ouvrir vers le digital, les interactions tactiles nécessitant une plus grande attention visuelle).

En conception de système, la surveillance de l’attention est essentiellement réactive par émissions d’alertes. Bien que cette surveillance soit nécessaire en tant que filet de sauvegarde, la question de fond est de compléter cette approche réactive « de surveillance » par une approche plus anticipatrice « d’orientation » de l’attention selon la complexité des scènes.

Simplicité de la conduite (sérénité)

Les questions d’anticipation et de synchronisation avec la dynamique des situations sont au cœur de la cognition de la conduite automobile. De ce point de vue, la Situation Awareness (SA) est une représentation mentale dont les finalités sont essentielles à la sécurité et la sérénité de la conduite : donner cohérence aux événements externes, créer des attentes et orienter la prise d’informations, permettre l’anticipation des évolutions de la situation et des effets d’actions. L’objet de la SA est double :

La dynamique de la situation de conduite dans un “empan temporel” allant de quelques secondes à quelques dizaines de secondes, voire au-delà pour les tâches de planification. Un des supports possibles est d’arriver à expliciter le « champ des déplacements sûrs », sachant que plus l’“empan temporel” s’agrandit, plus la prise en compte des intentions (de soi et des autres) devient problématique.

Les états et perceptions/actions “aides à la conduite” qui peuvent contribuer directement aux interactions selon le niveau d’automatisation. En retour d’expérience du domaine automobile, on constate une anthropomorphisation des systèmes d’aides qui rend certaines limites difficilement prédictibles quand elles sont en-deçà de compétences considérées comme basiques par les conducteurs.

La question du « soi » est souvent implicite dans ces approches malgré son importance :

Le conducteur est bien acteur de sa situation de conduite, qui n’est pas seulement subie mais partiellement décidée (décision de dépasser, de ralentir, de faciliter ou pas les insertions, etc.). L’enfer, ce n’est pas seulement les autres et les indicateurs de réflexivité permettent une conduite plus sereine.

Concernant les systèmes d’aide, plus que la « confiance dans la technologie », c’est la problématique de la « confiance en soi utilisant la technologie » qui importe. D’où l’importance en conception d’accepter de privilégier la robustesse et la prédictibilité.

Et la simplicité d’apparence… qu’en pensent les clients ?

À ces simplicités, il convient de rajouter la simplicité d’apparence qui est première lors de la découverte du cockpit… mais pas forcément la première dans les priorités de l’expérience des conducteurs.

À l’aide d’une étude dédiée, nous avons pu confronter près d’une centaine de clients (non spécifiquement Renault) à des cockpits « ultra-digitalisés », avec une quasi-disparition des commandes tangibles intégrées dans un écran tactile.

En minorité, deux catégories de clients privilégient ce dépouillement du physique :

Ceux pour lesquels cela est un marqueur essentiel de la modernité digitale et qui affichent une (sur)confiance en soi dans la capacité de multitâches digitales en situation de conduite.

À l’opposé, certains clients sont principalement soucieux de l’accès aux basiques de la conduite et sont finalement assez demandeurs d’un « superflu » caché dans un monde digital qu’ils ne comptent pas explorer.

Mais la grande majorité des clients interrogés est à la recherche d’un équilibre physique/digital. La question clef n’est pas tant l’ostentation de la modernité que l’adéquation des dispositifs aux activités de conduite et en conduite, faisant écho empiriquement aux thématiques développées ci-dessus. Tant que le « jeu à jouer » ne change pas radicalement, la « manette de jeu » reste d’intérêt.

Photo de l auteur
Xavier Chalandon, Renault

Xavier Chalandon est ingénieur Sup’Aéro, titulaire d’un Master of Science (Stanford) et d’un doctorat en Ergonomie cognitive (CNAM). De 1990 à 2005, au sein de Dassault Aviation, il occupe plusieurs postes dans le domaine du Facteur humain en conception. Il rejoint Renault en 2006 (Recherche Ergonomie & Perception). Depuis 2011, il a la responsabilité du domaine d’expertise Interface homme-machine.

Auteur

Xavier Chalandon

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