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L'arbalète médiévale fut interdite un temps car trop meurtrière...
11 avril 2015

CONCEPTION DES ARMES ET VOLONTÉ SOCIALE
POUR UNE APPROCHE HUMANISTE DE L’EFFICACITÉ GLOBALE DES ARMEMENTS

De plus en plus, l’emploi des armements se décide et s’inscrit dans des situations où combats matériels et affrontements médiatiques sont étroitement liés. il importe d’adapter la conduite et l’accompagnement des programmes à ces conditions nouvelles.


Tirer les leçons de l’histoire

L’histoire nous livre de nombreux exemples d’armes intrinsèquement efficaces qui ont vu leur réalisation ou leur déploiement retardé, limité ou empêché pour des raisons d’origine philosophique ou médiatique. Par exemple, au Moyen Age l’arbalète a d’abord été rejetée comme un instrument diabolique. De nos jours, l’interdiction partielle des armes à sous-munition par la convention d’Oslo conduit les armées françaises à abandonner différents matériels : obus à grenade Ogre, bombe aéroportée Belouga, lance-roquettes multiple … Le paradoxe est que de telles restrictions, qui dégradent incontestablement le rapport de la puissance au coût de nos forces, ne sont pas nécessairement les mesures les plus adaptées pour atteindre des objectifs humanitaires universellement partagés. Ainsi, dans telle crise du vingtième siècle, de simples machettes ont été les outils de massacres massifs que des interventions appropriées utilisant des armes intrinsèquement plus meurtrières auraient probablement permis d’éviter.

Or ce risque de dévoiement est particulièrement élevé à notre époque pour un pays comme la France et ce pour deux raisons bien précises. D’une part, ce sont les nations les plus démocratiques qui sont les plus vulnérables à un affaiblissement de leurs capacités militaires sous l’effet de mouvements d’opinion qui leur interdiraient l’utilisation de certaines armes alors même qu’elles ont la volonté de contribuer par ces capacités militaires au maintien de la paix et de la sécurité dans le monde. D’autre part, l’extension des moyens d’information et de communication, la prolifération des organisations non gouvernementales permettent l’ouverture d’un débat planétaire susceptible d’atteindre et d’influencer dirigeants politiques et chefs militaires beaucoup plus rapidement et directement qu’aux siècles passés.

Il importe donc de concevoir des systèmes d’armes qui soient efficaces dans les combats matériels tout en offrant le moins de vulnérabilité possible sur le champ de bataille de l’opinion qui se développe dans le cyberespace. L’interdépendance de ces deux terrains d’affrontement est illustrée par l’exemple des conflits asymétriques, où le terrorisme et la contestation philosophique sont deux voies complémentaires largement utilisées.

L’opinion publique et les règles juridiques qui la traduisent ne sont pas toujours réductibles à la logique

La destruction d’une batterie de missiles par un missile airsol classique est admise. si, en revanche, on venait à employer un drone capable de détecter la présence de personnes autour de ladite batterie et de prendre sélectivement la décision d’engager sa cible ou de s’en abstenir selon qu’il identifie ces personnes à des servants du système ou à des civils, alors il serait qualifié de robot tueur par certains. il peut être considéré comme illicite d’endormir des adversaires par un gaz soporifique (arme chimique) plutôt que de les anéantir par des bombes traditionnelles.

C’est dans ce contexte que le Conseil général de l’armement a soutenu une réflexion, en lien avec les Ingénieurs et Scientifiques de France, en vue d’améliorer la cohérence entre les moyens disponibles et l’ensemble des exigences politiques et sociales associées à leur utilisation. 

Anticiper les débats futurs

Une première idée qui en est ressortie est que dans les années à venir plusieurs domaines de l’armement feront probablement, ou continueront de faire l’objet de polémiques susceptibles d’aboutir à des contraintes juridiques ou de fait. Citons la dissuasion nucléaire, les armes à létalité réduite, les robots et autres dispositifs de plus en plus automatisés ou encore les technologies de l’homme augmenté.

Une deuxième observation porte sur l’importance du facteur temps. D’une part, compte tenu de la durée de réalisation et de maintien en service des armements, c’est l’état des mentalités supposé plusieurs dizaines d’années à l’avance qui doit être considéré à l’étape de définition. D’autre part, au stade de l’emploi, les fluctuations de l’opinion sont rapides, il importe d’être réactif et le moment de la communication doit être choisi avec soin. Dans tous les cas, une phase de renseignement s’impose et l’anticipation est primordiale.

Enfin, il est banal de constater que la réaction, à un moment donné, d’une communauté particulière à l’emploi d’un type d’armement est la résultante de facteurs nombreux et complexes qui ne sont pas tous réductibles à la logique. Il y a des facteurs culturels plus ou moins profonds, tels que la distinction entre ruse et perfidie ou le degré d’acceptation d’une modification du corps humain. L’appréciation de la légitimité d’une opération militaire influe sur celle des armements employés et l’exigence éthique est certainement plus forte pour des populations qui ne se sentent pas directement menacées dans leur vie ou leur intégrité. L’histoire d’une nation laisse des traces qui peuvent être recouvertes, puis resurgir. 

S’organiser pour associer toutes les compétences

En conclusion, plusieurs propositions peuvent être formulées. L’une serait de compléter le processus actuel de conduite des programmes d’armement par l’analyse à certaines étapes des aspects éthiques, sociaux et médiatiques de leur utilisation. Ces analyses seraient prises en compte, à côté des arguments opérationnels, techniques et financiers, dans les décisions d’orientation et de poursuite des programmes. La principale recommandation est de mettre en place un comité d’analyse sociale des armements chargé d’apporter au ministre de la Défense une vision globale et pluridisciplinaire à l’appui des décisions stratégiques prises ou proposées à son niveau. Ce comité comprendrait un petit nombre de personnalités diverses reconnues notamment dans les domaines de l’éthique, de l’histoire, du droit et de la sociologie, et s’appuierait sur un réseau de correspondants. En dehors des avis au ministre, il serait chargé d’intervenir en son nom propre dans les grands débats organisés sur la scène publique, en particulier par les organisations non gouvernementales.  

 

 

le comité international pour le contrôle des armes robotisées (icrac)

L’icrac se définit comme une organisation non gouvernementale, composée d’experts en technologies robotiques, questions éthiques, relations et sécurité internationales, droit humanitaire… qui affiche en mars 2015 sur internet une liste nominative d’un peu moins de trente membres dont plus de vingt ressortissants des pays anglo-saxons (principalement etats-Unis et royaume Uni), trois allemands, aucun français. créé en 2009, ce groupe organise dès 2010 une première conférence à Berlin. il appelle en 2014 la communauté internationale à un traité d’interdiction du développement, des essais, de la production et de l’utilisation en toutes circonstances d’armes autonomes, l’idée de base étant que des machines ne devraient pas se voir déléguer la décision de tuer ou d’utiliser la force violente.

 

 

 

    
Jacques Bongrand
Jacques Bongrand a été conseiller du ministre de la Défense, directeur du service de la recherche à la DGA, président de l’organisation de la recherche et de la technologie de l’OTAN, président du directoire de l’Agence de l’innovation industrielle, secrétaire général du Conseil général de l’armement.
 

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