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01 juin 2018

ET L'HOMME DANS TOUT ÇA ?

Il y a quelques mois j’ai eu l’opportunité de regarder un reportage pas- sionnant sur l’avenir du tri postal en Chine, pays pionnier en matière de robotisation. En 2016, STO Express, numéro 3 chinois du courrier, a automatisé quatre de ses sept plateformes.


Esthétiquement, il fallait voir cette chorégraphie millimétrée et parfaitement silencieuse des plus de 300 robots qui se croissent à grande vitesse, sur un vaste plateau de tri au milieu duquel des centaines de trappes s’ouvrent dans le sol, dans un ballet parfaitement synchronisé. Plates et discrètes comme des aspirateurs-robots, chacune de ces petites machines à quatre roues réceptionne le colis sur son plateau jaune, pour aller ensuite le déverser dans l’ouverture carrée au sol qui correspond à la destination, contribuant ainsi à trier plus de 70 000 colis par jour. Il fallait également voir l’ensemble du système se reconfigurer instantanément à la moindre interférence, déviant les flux de robots pour contourner l’obstacle.

Robots : 32 seconde / Homme : 15 minutes

« Le robot met 32 secondes en moyenne pour traiter un colis, là où un humain met 15 minutes » factualise le directeur du site. Résultat : là où elles ont été introduites, les machines ont remplacé les trois quarts des employés. Aussi ne reste-t-il ici qu'une dizaine de salariés... en tout, pour exécuter une tâche des plus basiques : prendre le colis sur un tapis roulant et le déposer sur le plateau du robot étiquette vers le haut pour permettre à une caméra ultra-rapide de scanner l'adresse de destination. Mais là aussi un robot est en cours de développement et ces derniers postes auront disparu d'ici à trois ans.

Lors du salon GLOBAL INDUSTRIE 2018, j’avais posté une vidéo montrant le stand KUKA1 où un robot relativement simple joue les barmans pour servir des bières. Aujourd’hui, au sein du plus grand paquebot du monde (9000 passagers...), le « Symphony of the Seas », les deux robots barmen du Bionic Bar préparent dans un bel ensemble 130 cocktails par heure, chaque cocktail pouvant être individuellement paramétré... Certains se rappelleront le film « Passagers », où Chris Pratt - seul humain réveillé accidentellement au sein d’un vaste vaisseau spatial totalement automatisé, disposant de tous les biens matériels qu’il souhaite..., n’a comme interlocuteur qu’un robot barman... jusqu’à ce qu’il se décide à réveiller un autre humain.

L’ingénieur que je suis est émerveillé par ces prouesses technologiques, par cette capacité qu’a l’Homme à créer les outils ou les jouets lui permettant de rendre ses rêves les plus fous accessibles. Là réside d’ailleurs ma passion pour l’industrie. En revanche, l’humain que je suis s’interroge sur le Sens de cette course vers l’éviction de l’humain.

Et l’Homme dans tout ça ?

Au-delà de la robotisation, la digitalisation est un autre facteur lourd de transformation des logiques de conceptions, de productions et de distribution. L’accélération du temps business, l’évolution incessante des métiers et des compétences, la généralisation des organisations en mode projet et globalisées, ... questionnent les modalités de la relation de travail, notamment contractuelles et humaines, vers davantage de flexibilité, d’intermittence et d’incertitude. Mon activité aujourd’hui m’amène à constater par exemple une nette accélération du développement du management de transition, avec des entreprises de plus en plus soucieuses d’adapter en permanence leurs équipes au plus juste : avoir au moment idéal, pour la durée juste nécessaire, les compétences à la fois les meilleures possibles et les mieux adaptées au point business considéré. Même la question de la gestion interne des talents apparaît de moins en moins pertinente, tant est incertaine aujourd’hui l’anticipation des compétences qui seront utiles et nécessaires demain. Je ne serais pas surpris que des pans entiers des fonctions RH se retrouvent bientôt externalisés, car il s’agira moins de « posséder » la ressource que de pouvoir faire usage de la bonne au bon moment, et donc d’avoir accès aux bons réservoirs. Le développement actuel sur internet des « places de marché » mettant en relation des ressources freelance et des besoins productifs commence certes par ce qui est simple (métiers standards et petits projets), mais ne tardera pas à remonter dans la chaine de valeur dès lors que l’IA et les outils de modélisation le permettront.

Dans ce nouvel environnement global toujours plus compétitif, quelles seront les transformations à opérer ? Jusqu’où aller dans l’optimum compétitif ? Comment gérer les externalités négatives d’un tel mouvement de fond ?

Plus globalement, au-delà de la dynamique d’entreprise, ces ruptures fortes auront des impacts en termes de solidarité et de cohésion sociale. Depuis la Révolution Agricole, le modèle dominant du développement humain est celui de l’échange des fruits d’un travail, d’abord sous forme de troc et de solidarité, puis via sa monétarisation. La zone d’échange étant passée entre temps du local au global. La grande masse des citoyens du monde consacre l’essentiel de son temps éveillé à cette opération d’échange, et aujourd’hui, la vie professionnelle structure une très large part des interactions humaines.

Certes de nouveaux métiers vont émerger. Mais nombre vont voir leur modèle être totalement reconfiguré, et beaucoup vont simplement disparaître car le robot sera substitué à l’humain. Certains y verront un vaste mouvement de libéralisation permettant à l’Homme, qui entre temps sera devenu a-mortel, de se focaliser sur le développement de ses compétences cognitives et spirituelles, voire à son expansion extra-terrestre. D’autres y verront un très grand asservissement, tant l’Homme sera 

devenu dépendant de ses machines. Dans tous les cas une question se posera : celle des modalités du Partage des ressources et des richesses créées.

A travers ce numéro, nous avons souhaité apporter un éclairage à la fois sur ces prouesses technologiques et organisationnelles qui émerveillent les ingénieurs que nous sommes, notamment en donnant la parole aux différents acteurs de la production, qu’elle soit unitaire ou de masse, publique ou privée, ainsi qu’aux acteurs qui interviennent en conseil et méthodologie, mais aussi sur les enjeux humains et sociétaux qui se font jour derrière cette nouvelle révolution industrielle et technologique. André Malraux disait que le XXIsiècle serait spirituel ou ne serait pas. Sans aborder ces questions sous un angle religieux, la place de l’Homme, le Sens de son existence et les modalités des interactions humaines nous apparaissent être des clés importantes du 21e siècle. Nous espérons que les articles de ce magazine susciteront votre intérêt et qu’ils sauront aiguiser votre curiosité sur ces sujets au cœur des évolutions en cours et à venir.

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