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Un casque donne des performances supérieures à un œil bionique... Steve Austin n’a qu’à bien se tenir
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26 janvier 2025

LE COMBATTANT AUGMENTÉ
UN SUJET D’ANTICIPATION

L’humain augmenté, sujet de rêve voire de fantasme. Dans le sport, sujet sensible, pas de triche aux JOP ! Dans l’Armée, sujet de survie potentiel. Mais au fait, de quoi parle-t-on ? C’est l’objet de cet article.


L’augmentation chez le sportif est parfois quelque chose de très discret, ancien, et même militaire : je ne parle pas de tricherie comme le dopage, ni même d’utiliser son smartphone pour enregistrer et optimiser son entraînement avec un coach numérique ou organique, mais simplement de musique. Eh oui, si la musique existe dans les Armées, et que les Romains l’utilisaient pour la transmission des ordres, il semble que chez certains de leurs compétiteurs, elle était utilisée pour encourager les soldats au combat. Un effet sur les performances a été scientifiquement prouvé dans certains cas, et elle est d’ailleurs réglementée dans certaines pratiques sportives.

Le soldat, un sujet d’éthique

L’aspect militaire de la performance sportive n’échappe pas à la réflexion et le sujet « soldat augmenté » a fait l’objet d’un avis du comité d’éthique de la Défense, qui prend en compte le respect du corps mais aussi le risque de déclassement vis-à-vis de certaines grandes puissances dont les dirigeants sont très pragmatiques : ainsi le leader de l’innovation en charge de simplifier la légendaire bureaucratie américaine est-il également un fervent supporteur de l’augmentation cybernétique.

Le comité d’éthique de la Défense a identifié plusieurs types d’augmentations historiques : les armes et équipements, l’entraînement, la médecine (substances). Dans le futur, les « augmentations » seront incorporées, de manière réversible ou non, au soldat lui-même. C’est ici que l’éthique intervient, puisqu’il s’agit du respect de la personne humaine et de sa dignité. Le comité a donc identifié des lignes à suivre : elles doivent être réservées à la supériorité opérationnelle, et préserver la santé physique et morale des militaires. Les risques pris concernant la santé du militaire, dont l’addiction à une sensation de puissance, la déshumanisation, le cyber (cf scénario Red Team « Barbaresques »), la licéité ou l’impact social de ces « différences » doivent être maitrisés. D’une manière générale, ce qui peut être fait de manière non invasive est à privilégier : notamment les activités sportives peuvent se montrer préférables à la prise de substances. Comme pour certains médicaments qui sont parfois des poisons, c’est la balance bénéfice/risque qui doit piloter les choix, sous l’accompagnement du SSA (service de santé des armées) : il en est ainsi pour la caféine concentrée ou le modafinil. Toutefois, pour préserver l’avenir, « peu » de restrictions hors déontologie médicale sont préconisées sur les activités de recherche : respect des principes de dignité de la personne humaine, de la maîtrise d’emploi de la force, de l’humanité, du libre-arbitre, de la discipline, et pas de pratiques génétiques ou eugéniques, ou qui mettraient en péril le retour à la vie civile.

Un concept exploratoire à suivre de près

Le CICDE (Centre interarmées de concepts, de doctrines et d'expérimentations) s’est également penché sur le sujet : son concept exploratoire respecte l’avis du comité d’éthique : aspect invasif de l’augmentation ainsi que les lignes rouges associées. L’apparition des NBICs (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives) donne une nouvelle dimension au sujet que ce soit en termes d’équipements ou d’augmentations (cf scénario Red Team « Face à l’hydre »). Les attentes actuelles sont probablement encore exagérées avec beaucoup de réflexions, mais pas encore de programme d’armement en cours : il faudrait en premier une expression de besoin, que le CICDE propose d’organiser par domaine : perception, compréhension, décision, action, et santé à préserver. La définition est encore discutée : si le CREC y inclut l’ensemble des équipements, le JORF 113 du 16 mai 2019 définit « l’augmentation de l’être humain » comme associée à une intervention médicale ou biologique. Il ne précise cependant pas ce qu’est une « intervention biologique » : le sport, et l’entrainement, en font-ils partie, ou est-ce uniquement une référence aux substances ? Au final on retient l’idée d’un vecteur invasif sur le corps. À moyen terme, il semble cependant plus efficace d’avoir des équipements que des augmentations (par exemple, le casque topowl donnera des performances supérieures à un œil bionique), ces dernières améliorant plutôt la survie. De plus, elles ne sont ni facilement mises en place ni transférables. On perçoit un besoin de monter en maturité dans les forces pour séparer la réalité du fantasme. Pour ce faire, le CICDE n’hésite pas à proposer le recrutement de bio-ingénieurs à la DGA : l’avenir du métier SH est ainsi planifié. La question qui émerge au vu de la situation à l’Est est : quels personnels augmenter ? L’usage qui semble rester actuel chez nos compétiteurs de la « chair à canon » indique qu’ils n’investissent pas sur la plupart de leurs soldats. Le militaire augmenté sera donc à forte valeur ajoutée, et très probablement rare : pour avoir de la masse, point n’est besoin d’augmentation, ni même d’humain. Il me semble très probable, à ce stade, que les premiers soldats augmentés resteront une élite très restreinte : peut-être forces spéciales et pilotes de chasse.

Des réflexions internationales, mais peu de réalisations

Qu’en est-il hors de France ? A l’AED (Agence Européenne de Défense) et à OTAN, le sujet fait partie des discussions « human factor ». Côté AED, les travaux sont orientés équipement : usage de la réalité virtuelle pour l’entraînement, et vêtements connectés : on s’approche du sport électronique, où l’on pourra en salle et totalement monitoré faire le tour du Mont-Blanc en observant le paysage d’un tapis roulant orientable : même les superbes installations du bâtiment des sports de Balard n’en sont pas encore là, mais dans dix ans ? Côté OTAN, cela fait partie des sujets à la mode en lien avec les biotechnologies et la guerre cognitive. Je ne m’étendrai pas longuement sur ce sujet « NATO restricted » : l’OTAN a une approche très compatible de la vision française. Le concret viendra plus tard, l’heure est à la réflexion, même aux USA : l’amélioration génétique de la cognition ou l’implantation de puces font l’objet de publications et de projets de rêve industriel. Je partage totalement l’analyse du CICDE : les technologies d’augmentation de l’humain et d’humain digital sont dans la partie ascendante de la courbe de Hype, où des cabinets spécialisés leur prédisent une maturation qui reste à plus de 10 ans depuis au moins…, 10 ans.

Cycle de Hype

Cycle de Hype

Nous pourrions être rattrapés par l’innovation

Alors pour en revenir à la DGA, que fait-on pour l’« amélioration » du militaire ? On réfléchit, on imagine, on prépare le futur : hors équipements (je vous renvoie au numéro 132 sur le facteur humain), les aspects médicaux sont pilotés directement par le SSA, avec le soutien de la DGA notamment pour une poignée de contre-mesures médicales intégrées au PEM CINABRE. Côté science et technologies, il faudrait un numéro complet pour décrire toutes les innovations identifiées par l’AID, car le monde des start-ups foisonne d’idées : la plupart se rapportent à de l’équipement, mais on peut citer l’entreprise européenne Onward qui propose un concurrent à Neuralink, un implant cérébral pour que le cerveau contrôle directement des équipements sans passer par une IHM…

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Olivier GUELDRY ICA, responsable du pôle SHP de la DGA

Après une thèse de doctorat en biochimie en sortie de l’X, Olivier Gueldry rejoint DGA Maîtrise NRBC au département de modélisation puis l’UM NBC pour s’occuper des études amont. Il poursuit ce parcours à la direction de la stratégie et à l’AID, avant de rejoindre la division cohérence capacitaire de l’EMA. Il est aujourd’hui responsable du pôle technique « SHP ».

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