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Le XV de Polytechnique durant un match du Tournoi Sportif des Grandes Ecoles de la Défense. © Jérémy Barande / Ecole polytechnique
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12 février 2025

L'ÉCOLE DE LA VOLONTÉ
L’INTÉRÊT DU JEU COMPÉTITIF

Parmi les nombreux acquis de mon passage à l’École Polytechnique, il y en a un que je voudrais souligner plus particulièrement aujourd’hui, le goût du sport.


L'X m'a appris le goût du sport. À part la natation, pratiquée en club pendant plusieurs années à l’adolescence pour pouvoir nager en sécurité le long de la côte Atlantique médocaine, je n’avais guère pratiqué le sport avant mon entrée à l'X. J'y ai acquis une condition physique de bon niveau, au rugby, que j’ai continué de pratiquer jusqu’à la trentaine.

Le plus important, je l’ai découvert longtemps après… Le 5 octobre 2009, j’ai été atteint par une maladie auto-immune rare, dont j’ignorais même l’existence : un syndrome de Guillain-Barré, dans sa version la plus dure. En 24 heures, je suis passé d’un état normal à tétraplégique complet, tous les muscles de mon système nerveux périphérique, c’est-à-dire ceux commandés par le cerveau, inertes du fait d'une destruction par mes anticorps de la myéline qui transporte l’influx nerveux. Cela veut dire être paralysé des orteils jusqu’aux paupières, y compris les muscles respiratoires ; tout cela avec un cerveau intact, parfaitement conscient et fonctionnel. S’en suivirent 53 semaines de réanimation, dont neuf avec un respirateur via une trachéotomie, puis deux années de rééducation au rythme de quatre à cinq heures par jour à l’HIA Percy. Je ne remercierai jamais assez ses équipes médicales extraordinaires qui, après avoir évité l’irréparable, m’ont remis sur pied au mieux. Ce qui me connaissent savent que demeurent quelques séquelles motrices me valant un statut PMR, finalement secondaires au regard de ce qui aurait pu arriver.

Dans cette histoire, le sport a tout simplement été essentiel, tant sur le plan psychique que physique.

Je commencerai par la fin, la rééducation, pour laquelle le lien est le plus évident. Lorsque je suis sorti de réanimation, j’étais juste capable de tenir assis, après avoir été posé sur un plan par un lève-malade, pouvant à peine bouger les membres sur quelques centimètres avec une force infime. Heureusement, cette maladie possède un aspect positif en cela qu’elle est réversible. Pour moi, l’objectif de la rééducation était de se reconstruire de pratiquement zéro, si possible au plus proche des 100 % de mes capacités initiales. Il s’agissait alors de s’exercer tous les jours, toujours un peu plus, avec un but final bien gravé en tête et bien sûr aussi des objectifs intermédiaires fixés par son kiné-« entraîneur », à un rythme de sportif professionnel de 4 à 5 heures par jour.

C’est ici qu’intervient l’acquis sportif, enfoui dans les tréfonds du cerveau. Ceux qui ont pratiqué le sport sérieusement ont un avantage majeur, c’est un fait médical : le cerveau sait que pour progresser, il faut dépasser ses limites et se faire mal. Tous les jours, il faut remettre l’ouvrage sur le métier et franchir les objectifs fixés un par un, jalons sources d’une joie profonde. Le souvenir le plus fort est sans hésitation celui où ma kiné, à la fois entraîneur, confidente et amie, me dit après des semaines à marcher entre les barres parallèles : « Sortez des barres et marchez jusqu’à la table là-bas », qui me paraissait inaccessible, si loin, à environ…. 5 m ! J’ai réussi et ce fut alors une émotion incroyable, unique, comme j’imagine produit une médaille olympique. J’ai appliqué ce principe quelques années encore, après ma reprise chez Airbus, jusqu’à ce que les progrès physiques atteignent une asymptote et se stabilisent où ils sont aujourd’hui.

L’Hôpital d’instruction des armées Percy, une excellence internationale notamment pour le soin des grands brûlés et la rééducation fonctionnelle.

L’Hôpital d’instruction des armées Percy, une excellence internationale notamment pour le soin des grands brûlés et la rééducation fonctionnelle

L’apport du sport est sans doute un peu moins intuitif en réanimation, mais il est tout aussi réel. Cela peut paraître en effet insensé de rester plus d’un an conscient et immobile dans un lit avec des capteurs, des sondes pour s’alimenter et évacuer, un respirateur, sans parler des sympathiques bouchons pulmonaires et autres joyeusetés… La communication avec les visiteurs était un challenge : nous utilisions une table alphabétique sur laquelle mon interlocuteur promenait un doigt, avec un code convenu : clignement d’œil droit pour « oui » et gauche pour « non », pour former progressivement un mot. Une invitation forte à la concision ! Nous étions arrivés à un bon rythme avec mon épouse, mais quel calvaire pour les visiteurs occasionnels, et pour moi qui bouillais de ne pas me faire comprendre. Quel soulagement lorsque je fus capable d'utiliser une valve phonatoire sur la trachéotomie, permettant de parler avec une voix de robot. En voyant la tête de certains visiteurs, pétrifiés en entrant dans le box, je me disais que je ne devais pas avoir une bonne allure. Heureusement, je n'ai vu que bien plus tard une photo prise 3 mois après mon entrée en réanimation car sinon, mon moral en aurait pris un sérieux coup !

Pour tenir, il y a bien sûr en premier lieu la présence familiale et en particulier celle quotidienne de mon épouse, la confiance dans l’équipe médicale et aussi les médicaments qui apaisent. Dans ces situations, le patient est presque privilégié car tout le monde s'occupe de lui et lui envoie des messages positifs. Je suis sans doute le seul à ne jamais avoir pensé que je pouvais y rester, mais cette inconscience, car il faut bien l'appeler ainsi, n’existait pas pour la famille proche et les amis. Ils prenaient de plein fouet les variations de mon état, du moins dans les trois premiers mois vraiment à risque.

Il y a aussi la volonté de remonter la pente, sachant que la situation est réversible. C’est là que la mémoire inconsciente de la pratique sportive est encore essentielle. Il s’agit encore de repousser, dans sa tête cette fois, les limites, de refuser d’en rester là et de se répéter en boucle : tu dois t’en sortir, tu ne vas pas abandonner ta famille, … Je m’aidais souvent d’un passage de la chanson du petit train forain de Dumbo, écoutée des centaines de fois 20 ans plus tôt avec mon fils aîné : souffrant pour monter une côte, il chante « oui j’y arriverai, oui j’y arriverai ». Cette recette vaut tant pour les douleurs fantômes que le énième bouchon pulmonaire. C’est encore une constatation médicale que la volonté de s’en sortir compte pour 50 % dans ces situations extrêmes : lâcher psychologiquement se traduit directement par un « lâchage » physique qui peut s’avérer catastrophique. Les marqueurs du sport dans le cerveau sont une aide précieuse.

Ce que le sport m’a donné ? Une chose à laquelle je n’avais jamais pensé jusqu’à cet accident de santé. Une capacité à accepter l’effort physique et psychique vers une résilience. Après près de trois années, j'ai pu reprendre mes activités chez Airbus qui avait accepté de m'attendre, et poursuivre un développement professionnel ainsi qu'une vie familiale normaux, moyennant quelques astuces pratiques et une fois acceptées les contraintes, relativement limitées mais bien réelles. J’ai appris à connaître mes limites pour éviter de me mettre dans des situations à risque (ce que je n'ai pas toujours évité en voyage avec mon épouse mais la sagesse vient avec l'expérience), à anticiper les difficultés potentielles et à accepter la présence d’une aide humaine pour certains gestes de la vie quotidienne.

Dans cette aventure, je mesure la chance que j’ai eue de bénéficier du système français de santé et de prévoyance, certes perfectible mais exceptionnel, d’exercer un métier intellectuel dans un grand groupe possédant un cadre social remarquable, et surtout de rencontrer un environnement humain incroyable.

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Philippe Coq, ICA, Consultant

X Sup-Aéro, Il débute à DGA EP, poursuit au ST programmes aéronautiques, puis comme attaché d’armement à Madrid. Il devient sous-directeur de la coopération et des affaires industrielles. Il rejoint Arjil&associés comme directeur, puis Airbus en 2003 comme directeur de Military Air Systems France. Il devient directeur des affaires publiques d’Airbus pour la France. En 2024, il fonde Philippe Coq conseil.

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