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Essais de SONEX-V à China Lake, Californie, Etats-Unis en janvier 2014
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01 juin 2016

Détecter avec des neutrons les mines enterrées

La société Sodern, n°2 mondial des équipements d’analyse neutronique de matières (ciment, minerais), a développé un équipement d’interrogation très novateur pour détecter la présence d’explosif dans un objet suspect de façon non destructive. La maturité de la technologie neutronique permet, aujourd’hui, d’envisager pour des applications militaires, l’utilisation d’une charge utile embarquée à bord d’un robot mobile, télécommandé, pour sécuriser un itinéraire en s’assurant de l’absence d’explosifs à l’avant du convoi.


La détection des mines est un problème technique ardu qui demeure globalement non résolu. De nombreuses pistes ont été explorées et beaucoup se sont avérées être malheureusement des impasses. Les classiques détecteurs de métaux, qui ont l’inconvénient d’un grand taux de fausses alarmes, et la sonde, simple pique pénétrant doucement le sol, manipulée par le soldat, restent souvent d’actualité.

 

Principe générique de la détection des mines enterrées

La spécification du principe physique pouvant conduire à la détection directe de ces objets enterrés est pourtant simple : le stimulus envoyé vers la mine doit traverser le sol jusqu’à elle, la pénétrer le cas échéant, créer le signal porteur partiel ou total de l’information « présence d’une mine », puis ce signal doit pouvoir parcourir le chemin inverse et fournir l’information qu’il transporte à un système de détection.

Ces trois contraintes conjuguées de premier niveau – pénétration aller, création d’un signal pertinent, pénétration retour – éliminent un très grand nombre de techniques physiques. Les quelques-unes qui réussissent ce premier examen sont ensuite jugées sur leurs capacités opérationnelles (temps de mesure/vitesse de balayage, fiabilité/fausse alarme, contraintes spécifiques d’usage,…). En pratique, on pourra avoir une certaine tolérance sur ces spécifications pour garder des techniques qui, associées, permettront d’avoir au final un système aux performances satisfaisantes.

 

Radar à pénétration de sol et détection des métaux

Le principe du radar à pénétration de sol ou GPR (Ground Penetrating Radar) permet un balayage à une certaine vitesse. C’est l’une des techniques qui passent les critères de premier niveau en étant tolérant sur la capacité à fournir une information pertinente sur la mine. On se contente en effet, sur cet aspect de la détection, d’une anomalie dans la propagation d’ondes hautes fréquences, issue d’une discontinuité de la permittivité électrique du sol due à la présence de la mine. Cette anomalie peut ensuite être investiguée par un autre capteur plus précis sur l’information remontée, mais éventuellement plus lent.

La technique GPR résulte d’une évolution moderne du principe ancien de la détection des métaux par induction magnétique (la célèbre « poêle à frire »), encore très utilisée. Ses deux inconvénients majeurs sur le champ de bataille sont l’éventuelle profusion des signaux positifs, résultant de la dissémination de pièces métalliques (ce qui peut constituer en soi une contre-mesure), et le fait qu’on sait faire des mines et autres IED (Improvised Explosive Devices) avec très peu de parties métalliques.

 

La technique neutronique

La technique de l’interrogation neutronique passe les trois critères de premier niveau. Les neutrons issus d’une source électrique – un tube neutronique – ont un pouvoir de pénétration important, même si le signal s’atténue d’un facteur 10 tous les 30 cm dans le sol en moyenne. Ils créent un signal permettant d’identifier les atomes constituant la matière de l’objet, et partant, d’identifier avec un certain niveau de confiance sa nature. Ceci constitue un avantage important par rapport aux deux techniques citées plus haut. Ce signal, sous la forme de rayonnements gamma de haute énergie, a également les capacités de pénétration lui permettant de retraverser le sol vers la surface et d’y rencontrer la partie détection de l’instrument qui s’y trouve. Pour des raisons de bilan, la mine doit être à la verticale du capteur avec une tolérance de quelques centimètres.

 

 

Tube dit à « particule associée » (TPA)

Les caractéristiques opérationnelles présentent malheureusement quelques handicaps :

  • le temps de détection, qui est le temps nécessaire pour faire l’analyse en « un point» du sol, est d’une à dix minutes. Ceci exclut la détection en mode balayage et implique d’avoir un moyen de détection d’anomalies de premier niveau, comme le GPR, la détection de métaux ou tout système de détection d’anomalie (état du terrain en visuel, analyse thermique, intuition humaine, etc…). Ainsi le capteur neutronique est-il un « capteur de confirmation ».
  • le capteur neutronique est intrinsèquement un capteur lourd. Ceci est dû au caractère pénétrant des rayons gammas en retour de l’objet. Les détecteurs des rayons gammas, qui convertissent l’énergie gamma en lumière dans un cristal scintillateur, sont d’une densité et d’une épaisseur suffisante pour arrêter les gammas. De tels détecteurs sont unitairement lourds, et il faut, pour diminuer le temps de mesure, qu’ils couvrent une surface de détection maximale au-dessus du sol. L’ensemble ainsi constitué conduit à un volume et à une masse importants.

Le capteur, de quelques dizaines de kilogrammes, doit donc être embarqué sur un robot. Une mission supplémentaire de ce capteur embarqué peut être également l’identification d’objets inconnus (non enterrés) susceptibles de contenir des explosifs ou par exemple des armes chimiques.

 

L’état de l’art de la technologie neutronique

La technologie de l’interrogation neutronique a fait de gros progrès depuis vingt-cinq ans, avec le développement :

  • de tubes neutroniques (comparables à des tubes à rayons X, sauf qu’ils produisent des neutrons) de plus en plus fiables et industriels ;
  • de systèmes électroniques d’acquisition analogiques et numériques de plus en plus performants, permettant la mesure de signaux très faibles et le traitement en temps réel de données numériques, abondantes et bruitées.

Pour la détection d’explosifs et la détection de mines, la société Sodern a développé le tube dit à « particule associée » (TPA - voir encadré) qui ajoute à l’interrogation neutronique conventionnelle d’indentification des atomes présents, une fonctionnalité de résolution spatiale. Le TPA de 2016 pèse aujourd’hui moins d’un kilogramme pour 20 kilos pour le premier en 2003, et fonctionne en régime pulsé, ce qui permet l’acquisition d’informations complémentaires générées par les neutrons, quelques dizaines de µs après leur émission.

Perspectives

Une certaine maturité dans la technologie a été acquise après plusieurs projets qui se sont succédés sur le thème de la détection d’explosifs, pour le développement de systèmes utilisables dans le cadre d’applications :

  • civiles, qui n’ont pas abouti pour partie du fait des inconvénients « nucléaires » de la technologie et de certains aspects réglementaires ;
  • et militaires avec la DGA (projet THOR : équipement portable de détection d’explosifs et chimiques) et aussi l’US Army.

Ces avancées permettent d’envisager la conception d’un système pour l’ouverture d’itinéraire par exemple. Le projet « mini-Sonex », aujourd’hui au stade de la pré-étude, envisage la réalisation d’une charge utile neutronique embarquée sur une plateforme de type ROBBOX conçue par la société Sera‑Ingénierie. L’ensemble permettrait la mise à disposition d’un robot automobile, télécommandé, explorant l’itinéraire à l’avant d’un convoi, vérifiant le contenu d’objets éventuellement présents sur le chemin ou s’assurant de l’absence d’explosifs enterrés sur des zones pré-identifiées comme suspectes.

 

Malgré les grands progrès technologiques réalisés en électronique, en traitement du signal et dans les moyens techniques d’identification de matériaux (interactions ondes-matières, lasers, spectrométries diverses, mesures de champs électromagnétiques, moyens thermiques, etc.), la détection de mines enterrées demeure un problème non définitivement résolu.

Des solutions traditionnelles échouent pour des raisons de difficulté de mise en œuvre, ou des raisons réglementaires, de nuisances réelles ou supposées, de coût. Il est fait appel à la technologie nucléaire pour rendre un service très intéressant consistant en la détection de ces objets, voire en l’identification in situ de leur matériau de constitution. Le contexte opérationnel militaire (ouverture d’itinéraire par exemple) peut permettre l’usage de tels capteurs « nucléaires ».

Dans le cas particulier de l’interrogation neutronique et des systèmes à base de tubes neutroniques, la diffusion de capteurs industriels d’analyse de la matière utilisés à poste fixe dans l’industrie du ciment, du charbon et dans l’industrie minière a contribué au développement d’une technologie tout à fait « propre » et de haut niveau technique. Ce haut niveau technique peut aujourd’hui contribuer à la résolution, au minimum partielle, d’un problème militaire aussi ancien que pleinement d’actualité que celui de la détection des mines ou de celle d’engins explosifs improvisés.

 

    
Franck Poirrier, IGA, PDG de SODERN
Franck Poirrier (X 1979, Sup’Aéro 1984) a commencé sa carrière à la DGA dans le secteur des missiles puis de l’espace. En 1998, il rejoint Aerospatiale pour s’occuper des lanceurs. Il participe aux fusions industrielles jusqu’à la création du groupe EADS. Depuis 2004, il est PDG de Sodern. Il est membre du Comité de direction du GEAD du GIFAS, et représentant des équipementiers au Cospace.
 

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