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Le Tigre en version HAP - Hélicoptère Appui Protection lors d’un tir de roquettes. A terme, 40 appareils équiperont les forces terrestres et spéciales de l’armée de Terre.
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01 juin 2016

Le Tigre et les défis de la coopération : derrière la scène

Afghanistan, août 2009. Le Tigre réalise sa première mission au feu : le début d’une carrière opérationnelle exemplaire forte de déjà plus de 10 000 heures en OPEX à ce jour dont près de 8 500 pour la France seule, et l’aboutissement de plusieurs décennies de coopération. Mais quelles leçons peut-on tirer de l’histoire si particulière de ce formidable hélicoptère de combat, emblème à sa façon du partenariat franco-allemand ?


Noyau dur

La forte adhérence du Tigre avec la coopération franco-allemande est indéniable, et ce dès les premières études au milieu des années 1970. Le sociologue Ulrich Krotz y consacre même un livre, Flying Tigers1, avançant l’hypothèse que l’hélicoptère de combat, concentré de haute technologie made in Europe, a activement développé la relation franco-allemande. Quoiqu’il en soit, l’histoire du Tigre démontre qu’un couple de coopérants soudé politiquement est nécessaire pour résister aux tempêtes frappant inévitablement tout programme d’armement ambitieux et complexe – en témoigne la sortie du programme du Royaume-Uni au profit de l’Apache en 1995, malgré la forte implication personnelle du Président Chirac auprès de John Major.

Les acteurs étatiques et industriels du programme ont toujours fortement senti le poids du partenariat franco-allemand. Les symboles sont nombreux, telles les écoles bilatérales de formation des pilotes en France et des « maintenanciers » en Allemagne. Parfois perçu comme un frein à l’avancement du programme, le « noyau fondateur » sera pourtant un stabilisateur dans les moments difficiles.

Ainsi, lors de la qualification finale en 2008, tandis que la France pousse pour finaliser le développement et permettre un déploiement en Afghanistan, les opérationnels allemands sont réticents. Le partenaire allemand saura cependant vaincre ses réticences internes pour ne pas bloquer la France. Récemment aussi, alors que l’intégration de l’Australie aux travaux de rénovation à mi-vie (« Tiger Mk3 ») traverse une forte zone de turbulence, le socle franco-allemand permet de stabiliser le « pendule de la coopération », et de pérenniser une modernisation nécessaire pour relever les défis opérationnels à venir.

Aux programmes naissants tentés par une coopération la plus large possible, l’exemple du Tigre rappelle donc qu’il faut aussi disposer d’un petit noyau de coopérants solides pour emmener le projet durablement.

 

C’est quoi, une intégration industrielle ?

L’intégration industrielle de l’hélicoptère Tigre existe ipso facto, puisqu’Aérospatiale et MBB ont fusionné en 1992 pour créer Eurocopter, dont le premier produit (et au début, le seul !) sera l’EC 665 Tigre. Il serait exagéré d’affirmer que l’intégration industrielle s’est faite sans heurts ; ainsi la production, basée sur l’assemblage de trois tronçons principaux français, allemand et espagnol, traversera plusieurs phases avant d’atteindre la maturité. Néanmoins, l’hélicoptériste est véritablement européen, et joue son rôle d’ « Airbus des voilures tournantes ». Corrélativement, la logique Tigre de partage industriel, consolidée dans les années 1980, entraînera la création de consortiums pour certains équipements, le plus important étant le moteur MTR 390. Ce moteur est conçu et produit par une joint-venture à quatre participants (MTU, Turboméca, Rolls-Royce, ITP) et bien que ses performances soient indéniables, il représente un très gros défi en matière de gouvernance, parfois à la limite du gérable. Le rachat en 2013 par Turboméca des parts de Rolls-Royce dans le consortium RTM 322 (motorisation Lynx, NH 90 et Apache), est un exemple à méditer : pour tout nouveau programme en coopération, la simplicité du montage industriel et la robustesse de son intégration est cruciale – ses effets seront perceptibles y compris jusqu’en phase de soutien en service.

Noyau politique dur et base industrielle intégrée sont ainsi des facteurs sine qua non de réussite pour tout programme d’armement en coopération qui est soumis par nature à des forces centrifuges. Ces dernières poussent les Etats vers un repli national, notamment en phase d’utilisation, où les Nations, après avoir focalisé leurs efforts sur un partage des coûts de développement, s’attèlent principalement à optimiser la disponibilité des flottes nationales.

 

Tous d’accord pour avancer ?

Le premier élément d’instabilité d’un programme en coopération est son processus décisionnel, trop souvent marqué par le sceau de l’unanimité. Ainsi, même emmené par un duo moteur, un programme peut se retrouver ralenti dans ses prises de décision, situation qui in fine, peut se répercuter au niveau utilisateurs par des retards de capacités opérationnelles. De manière similaire, la recherche du maintien de la communalité à tout prix entre les différentes variantes nationales, pour assurer le partage des coûts de développement et optimiser les coûts de soutien futurs, se traduit par des phases d’harmonisation technique, budgétaire et calendaire entre les nations partenaires : des délais supplémentaires qui peuvent légitimement frustrer les utilisateurs, et incitent clairement à simplifier le processus décisionnel, notamment en phase d’utilisation et maintien en service.

 

Se séparer pour mieux se retrouver…

Tout comme dans un système mécanique hyperstatique sans degré de liberté, l’introduction de degrés de liberté (par exemple l’acceptation de particularités nationales quant au choix de certains systèmes) dans un programme d’armement est un gage de stabilité, de mobilité et de flexibilité pour le futur. En effet, bien que les variantes allemande et française du Tigre soient très différentes au niveau de leur système d’armes, chacun des pays ayant choisi une palette d’armement et de visionique différente (et donc des industriels différents), elles partagent néanmoins une base commune très forte (structure, système électrique, hydraulique, carburant, conditionnement…) qui représente plus de la moitié des coûts de soutien. Mais ces différences, tant qu’elles ne sont pas excessives (les contre-exemples existent…) laissent ainsi le champ libre aux évolutions nationales liées à l’armement et diminuent les tensions possibles entre partenaires. Un élément crucial en coopération, bien qu’à l’encontre de la tendance à spécifier un unique produit « one size fits all ».

Un autre facteur majeur d’instabilité d’un programme en coopération, qui nuit à son efficacité, est l’absence de standards structurants communs. Par exemple, la certification est une contrainte spécifique aux programmes aéronautiques qui doivent démontrer, en plus de la démonstration des performances spécifiées (qualification), que l’appareil peut voler en toute sécurité. Notre expérience sur le programme Tigre nous a montré que l’absence initiale de base de certification harmonisée rend aujourd’hui urgente l’implémentation des standards EMAR (voir encadré). Cela représente un enjeu majeur dans le cadre de la rénovation à mi-vie du Tigre (2023) mais aussi pour son soutien en service.

 

Les EMAR, base de certification militaire commune

L’absence d’une régulation militaire commune de navigabilité impose des processus de certification distincts pour chaque pays, d’où des calendriers nationaux différents, source de fortes tensions entre les pays. Les pays européens se sont ainsi dotés ces dernières années, sous l’impulsion de l’EDA (European Defense Agency) d’une base réglementaire commune, les EMAR (European Military Airworthiness Regulations). Ces textes doivent néanmoins être implémentées dans le corpus réglementaire de chacun des pays pour faire force de loi. Pour les futurs programmes aéronautiques, cette base commune de certification sera source de gains financiers et calendaires.

 

Tigre Mk3 : le retour

Ulrich Krotz a finalement peut-être raison : le Tigre n’est pas qu’une machine fantastique, mais aussi un objet d’études fascinant, permettant en matière de coopération européenne de voir ce qu’il convient de faire … ou d’améliorer ! La rénovation à mi-vie vers le standard Mk3 va constituer un nouveau test pour ce programme hors du commun. D’ici à son entrée en service dans la prochaine décennie, le Tigre devrait encore largement être présent sur de nombreux théâtres opérationnels, au côté des troupes au sol.

 

1) 2011, éditions OUP USA

 

    
David Colliquet, ICA, Coach (CODA Coach)
David Colliquet (X 94, ENSTA 97) a exercé des fonctions dans les programmes d’armement, d’abord à la DGA (domaine missiles et drones) puis à l’OCCAR, comme directeur du programme Tigre jusqu’en 2015. Il a créé en 2016 le cabinet CODA Coach, basé à Bonn (Allemagne), spécialisé en coaching, formation et conseil en gestion de projets.
 

 

    
Cyril Goutard, ICA, Tiger Programme Manager (OCCAR)
Cyril Goutard (X97, Supaéro) a commencé sa carrière au SIAé, en 2002 (modernisation Mirage III Egypte à Clermont-Ferrand) puis a été chef de la division maintenance SEM/ATL2/E2C à Cuers. Après avoir été architecte de cohérence technique du programme Tigre, il rejoint l’OCCAR, comme responsable support Tigre puis, en 2015, devient programme manager Tigre.
 

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