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VAB ULTIMA de RTD, au niveau de protection élevé contre les IED, équipé d’un brouilleur (portique avec les 5 antennes)
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01 juin 2016

La lutte contre les engins explosifs improvisés
Des axes multiples pour un défi sans cesse renouvelé

L’engin explosif improvisé est une menace ancienne pour nos forces armées qui a resurgi depuis le début des années 2000 et qui, malgré son caractère souvent rudimentaire, nécessite le développement de capacités multiples et complémentaires pour s’en prémunir.


Une menace majeure

L’engin explosif improvisé, ou IED pour Improvised Explosive Device, est un dispositif comprenant une charge d’explosif et un système de déclenchement, de caractère au moins partiellement artisanal. Bidon rempli d’explosif artisanal ou obus détourné de son usage, déclenchement par radiocommande de type alarme de voiture ou système à pression de fortune constitué d’une bouteille en plastique et de tiges de carbone : les IED sont multiformes et peuvent être adaptés à chaque situation. Ce type de menace est bien connu dans le cadre des attaques terroristes, mais c’est aussi une menace majeure et persistante pour les forces armées. C’est d’abord en Irak que cette menace émerge. Elle devient prégnante lors de l’intervention en Afghanistan où les IED ont provoqué de l’ordre de 30% des pertes françaises et 50% de celles de la coalition  (Nota : se référer au site icasualties.org pour se faire une idée plus précise) : au pic de la menace entre 2009 et 2011, le nombre d’incidents s’élève au-dessus de 10000 par an.  Pour l’armée américaine, on évalue les pertes à plus de 3000 morts et 30000 blessés depuis le début des années 2000. Cette situation n’a pas évolué avec les conflits actuels, fortement asymétriques :  sur le théâtre syrien notamment, ou dans la bande sahélo-saharienne, comme l’a souligné le dramatique incident du 12 avril dernier. L’IED est encore présent car c’est un moyen d’action abordable et efficace pour des forces non conventionnelles. Pour nos forces, elle est vue essentiellement comme une contrainte à leur mobilité, un moyen de harcèlement destiné à provoquer leur repli et à rendre impossible la réalisation de leurs missions.

Dès 2005, les premières acquisitions en urgence opérationnelle sont lancées pour adapter les moyens des forces françaises à cette menace. En 2007, l’EMA et la DGA décident de créer une structure, l’opération d’ensemble CARAPE, destinée à coordonner les efforts en matière d’équipement dans la lutte contre les IED. Trois axes sont alors définis : détecter et neutraliser la menace, la rendre inopérante, limiter les dommages causés.

 

Limiter les conséquences de l’explosion

Limiter les dommages, c’est avant tout améliorer la protection des véhicules contre les principaux types de charges explosives : ces charges sont le plus souvent des charges enterrées sous la chaussée ou bien camouflées au bord des routes. Il faut des véhicules avec une protection latérale et ventrale suffisante : l’armée française va faire le choix d’adapter la protection des véhicules existants plutôt que d’en acquérir de nouveaux. L’analyse des incidents sur le terrain s’avère une source d’informations précieuse pour identifier les points faibles des véhicules et orienter le choix des surprotections à mettre en place : c’est notamment ainsi que sont définies les surprotections pour les VAB (Véhicule de l’Avant Blindé), dont 290 exemplaires seront acquis dans le cadre de la transformation plus globale en VAB, dit « ULTIMA ». Empêcher le souffle de pénétrer dans l’habitacle ne garantit pas l’intégrité de l’équipage : dans le cas d’une charge ventrale, le véhicule va être violemment projeté en l’air avant de venir s’immobiliser au bord de la route. Cela implique des sièges spécifiques et des repose-pieds limitant la transmission des chocs, et des ceintures évitant la projection dans l’habitacle. Ce qui est vrai pour l’équipage l’est aussi pour le matériel transporté qui doit également être solidement arrimé au risque de se transformer en projectile. De nombreux véhicules vont bénéficier de telles améliorations : les VAB, les VBL, les PVP ou encore les AMX10RC. En complément, deux parcs réduits de véhicules spécifiques sont acquis : les ARAVIS de Nexter et les Buffalo. Cependant, si la protection des véhicules représente une garantie ultime au cas où la menace ne pourrait être traitée en amont, elle s’avère couteuse et n’empêche pas l’incident d’avoir lieu et son impact sur la mission.

 

Le véhicule de détection multifonctions de MBDA, avec ses moyens de leurrage, de détection, de brouillage et de protection

 

Rendre inopérant

Le second axe d’effort est d’empêcher le bon fonctionnement d’un IED : il s’agit de l’empêcher de se déclencher au bon moment, soit en neutralisant le système de déclenchement, soit en le leurrant. Dès 2005, la DGA acquiert des systèmes de brouillage destinés à empêcher le déclenchement des IED radiocommandés. Ce mode de déclenchement est largement répandu du fait de sa commodité d’emploi : mise en place rapide et capacité à choisir précisément la cible à distance. Des brouilleurs sont donc acquis pour assurer l’autoprotection des véhicules en empêchant le déclenchement d’un IED à leur proximité. Assurer une protection efficace ne se limite pas seulement à intégrer le brouilleur et ses antennes sur le véhicule, il faut que le brouillage soit efficace contre les radiocommandes utilisées. Il se trouve qu’une multitude de dispositifs sont utilisables entre 20 Mhz et 6 GHz pour en faire des radiocommandes d’IED, avec des logiques de fonctionnement tout aussi variées. La puissance d’un brouilleur est limitée et doit donc être dédiée aux menaces les plus probables : c’est un travail délicat associant le renseignement militaire et les experts de la DGA et de la STAT qui permet d’adapter en permanence les programmations des brouilleurs au spectre de menace sur chaque théâtre. Chaque année de nouveaux dispositifs sont identifiés, analysés et entraînent la production de nouvelles programmations. L’autre défi est de gérer l’intégration des brouilleurs sur tous les véhicules de l’armée de terre, notamment la compatibilité avec les moyens de communication : la problématique est bien d’interdire à l’adversaire l’utilisation du champ électromagnétique tout en en conservant l’usage.

L’autre moyen de rendre inopérante la menace est de la leurrer : c’est le moyen privilégié pour contrer les IED déclenchés par la victime, de type plateau à pression par exemple. Techniquement la solution la plus commune est une sorte de chariot poussé par le véhicule de tête d’un convoi. Ce chariot va reproduire les différents types de signature d’un véhicule : pression au sol, chaleur, ou encore signature magnétique. Le chariot provoquera alors le fonctionnement de l’IED au niveau du chariot plutôt que sur le véhicule : cela n’assurera pas forcément l’intégrité du véhicule mais réduira considérablement les effets. Ce type de matériel est acquis en 2009 pour équiper le contingent français en Afghanistan. Réduisant la mobilité, visible et donc contournable, cette solution n’est pas optimale d’autant qu’elle implique le déclenchement de l’IED.

 

 

Détecter et neutraliser

Enfin le troisième axe d’effort est la détection et la neutralisation. Historiquement les moyens de détection embarqués ou portables les plus communs sont les détecteurs de métaux : ils permettent de traiter une grande partie de la menace, mais rapidement en Afghanistan apparaissent des IEDs avec très peu de métal, notamment dans le cas des charges enterrées. D’autres dispositifs s’imposent comme les radars à pénétration de sol, détectant les hétérogénéités dans le sol. Des technologies de détection des explosifs apparaissent également telle que l’interrogation neutronique (voir article). Cette activité de détection de la menace est très risquée, les dispositifs déjà cités exigeant d’être très proche de l’IED, de passer au-dessus lorsqu’il est enterré. La tendance est donc à la recherche de moyens de détection à distance des différents indices de la présence d’un IED : présence d’un dispositif électronique, de fils, traces d’explosif, traces de la mise en place de l’IED, détection déportée via un drone ou un robot. Le défi des années à venir est de faire le choix, parmi un nombre croissant de technologies, des plus complémentaires afin de détecter, en sécurité et avec le plus de fiabilité, le spectre le plus large de menaces. Ce défi est d’autant plus grand qu’il doit tenir impérativement compte des aspects « facteurs humains et ergonomie » des opérateurs et des contraintes fortes d’encombrement des véhicules.

Le complément indispensable à la détection est la neutralisation de la menace : c’est le domaine des démineurs. L’enjeu est aussi bien de réussir à neutraliser la menace sans provoquer de dégâts que de recueillir des informations sur celle-ci afin de mieux lutter contre elle par la suite. Aujourd’hui, la DGA s’engage dans un projet de standardisation des équipements des démineurs des trois armées, pour en faire un système cohérent et projetable, comprenant notamment un robot d’intervention qui est aujourd’hui le robot terrestre le plus sophistiqué en service, devant intervenir avec des moyens disruptifs variés, charge formée à base d’eau ou encore laser, afin de neutraliser les dispositifs explosifs sans provoquer leur détonation.

Voilà donc trois axes dans la lutte contre les IED, on pourrait évoquer aussi la lutte offensive qui vise à neutraliser les réseaux fabriquant et mettant en œuvre cette menace, cependant elle repose moins sur des équipements spécifiques que les trois axes présentés ici.

En conclusion, la lutte contre les EEI est un domaine passionnant et frustrant : face à une menace qui ne peut être ignorée, c’est une lutte contre l’ingéniosité des concepteurs d’IED, plus dans la réaction que l’anticipation tant le domaine des possibles est grand.

 

    
David Foricher, ICA
Après avoir exercé des fonctions d’expert en protection, de responsable d’étude sur les aides à la décision, d’architecte capacitaire et de responsable du RETEX et des urgences opérationnelles, David Foricher (X96, ENSTA) est depuis 2013 directeur de l’opération d’ensemble CARAPE et depuis 2014 directeur du segment de management Génie et Protection.
 

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