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L’alerteur radar GA10 en essais à DGA TT
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01 juin 2016

Intégrer les hommes pour un meilleur partage des expériences
L’importance des équipes de programmes intégrées

Publié par Bruno DEMESY | N° 109 - Terrestre : la mutation

La formalisation du Retex dans l’armée de Terre date d’octobre 2005, faisant suite à la série d’engagements très différents mais quasi simultanés d’opérations au Kosovo au titre de l’OTAN, en RCI dans le cadre national et en Afghanistan dans une coalition ad hoc sous égide de l’ONU et soutien de l’OTAN. Trois opérations différentes dans trois continents différents : Europe centrale, Afrique tropicale et Asie centrale. Quand le général d’armée Irastorza publie la directive pour le Retex en juin 2009, une année ne s’est pas encore écoulée depuis la tragédie de la vallée d’Uzbin. L’objectif qu’il fixe au Retex est de procéder aux ajustements estimés nécessaires, d’éclairer les décisions et d’alimenter la réflexion prospective dans les principaux domaines suivants : doctrine d’emploi des forces […], formation et préparation à l’engagement des forces […], matériels et équipements. [Le] champ d’application […du] Retex s’applique principalement aux opérations et aux exercices auxquels participent les forces terrestres françaises.


Dans l’esprit de la directive permanente de 2009, le Retex a un but d’action à court terme, celui de l’adaptation réactive, et un but de capitalisation de l’expérience à long terme sans finalité d’action immédiate mais de préparation des décisions. Ces deux aspects, bien que compris dans la même directive, n’ont pas les mêmes implications dans le fonctionnement des deux grands acteurs du domaine capacitaire que sont la STAT et la DGA bien que les mêmes hommes traitent ces questions dans le même temps au sein des EDPI (équipes de programme intégré).

 

Le Retex pour d’abord protéger les soldats

L’adaptation réactive est la conséquence la plus simple du Retex en ce qu’elle ne se fonde que sur les faits dûment constaté par les troupes françaises déployées en opérations extérieures. Le processus d’analyse est alors interne à l’armée de Terre et vise essentiellement à réagir à la menace. En 2015, par exemple, l’armée de Terre, hors les forces du COS (Commandement des opérations spéciales) investissait 88 millions d’euros dans les urgences opérationnelles au titre des programmes 146 et 178. Dans cette somme, les fonctions de protection et de logistique représentaient respectivement 42% et 39% quand la fonction agression ne représentait que 1% ; le reste servait à la fonction commandement. Il s’agit donc bien, dans l’urgence, de protéger d’abord nos hommes et de leur permettre de s’installer et vivre après l’ouverture d’un nouveau théâtre, comme Barkhane dans ce cas. Cependant, les contradictions sont nombreuses et pas toujours là où on peut initialement les imaginer. L’armée de Terre sait qu’il faut aller vite mais hésite toujours à aller trop vite, ne voulant pas se fier à une seule perception issue de l’opération d’un seul mandat conduit par une seule troupe. D’autre part, on sait que le délai imparti ne permettra pas de développement et que les équipements qui seront fournis existent déjà et qu’il faut les acquérir rapidement pour prendre le temps juste nécessaire à les adapter localement. La complémentarité et l’intégration des équipes DGA et STAT permettent un accord de fond. L’OER, opération d’expérimentation réactive, justifie alors son qualificatif et permet dans l’urgence à la DGA de proposer un produit qui pourrait répondre au besoin formulé, ou en cours de formulation. Ce fut le cas remarquable d’un radar de contre-batterie qui permettait d’alerter le personnel d’une FOB en Afghanistan de l’impact imminent d’une roquette. Cet exemple montre l’importance de la protection du personnel dans l’urgence opérationnelle et la synchronisation fondamentale naturelle des membres formant EDPI.

 

Ouvrir des perspectives et canaliser l’imagination par l’OER.

Mais le Retex étend son champ d’action aussi à la prospective. Le champ d’étude porte alors sur toutes les capacités qu’une armée de Terre peut et doit déployer en cas de conflit. L’urgence n’étant plus de mise, le temps peut être consacré aux expérimentations prospectives fondées sur des démonstrateurs. Les OER et études amont développées par la DGA reflètent plusieurs intérêts pour la STAT. En premier lieu, très prosaïquement, la STAT se constitue un Retex propre comme dans le domaine de la vision nocturne : l’accumulation d’expériences et d’enseignements permet d’accroitre la connaissance et de mieux sérier le besoin et les possibilités, et ultérieurement évaluer les produits proposés. La qualité des FCM (fiche de caractéristiques militaires) s’en ressent et tous les travaux qui en découleront seront alors facilités. Le deuxième intérêt de ces études prospectives sur démonstrateur consiste en la capacité de la STAT, en coordination avec la DGA, à écarter des solutions initialement séduisantes mais qui n’entreraient pas dans le champ d’application des forces terrestres. Pendant vingt ans l’armée de Terre a utilisé le SDTI, drone tactique et intérimaire. Cette période a permis de mieux cerner le besoin tactique et la notion « d’intérimaire » aurait pu ouvrir le champ à des drones à voilure tournante. La conclusion des OER sur les voilures tournantes a été d’écarter cette motorisation pour les drones tactiques de l’armée de Terre et de conserver la voilure fixe comme celle du Patroller. Mais cette OER sur les voilures tournantes a servi, par effet de bande, à la Marine qui se tourne vers cette technologie. Enfin, l’emploi de démonstrateurs permet lorsque les technologies sont assez prometteuses de libeller de nouveaux besoins comme des désignateurs laser sur des équipements à venir.

 

Faire sienne l’expérience qu’on n’a pas vécu

Enfin, le dernier cas intéressant du Retex est celui des conflits où la France n’intervient pas. Stricto sensu, le Retex devrait cantonner l’expérience aux opérations extérieures françaises ; et effectivement les Comités d’Identification des Enseignements (COMIDENTIF) limitent le champ d’investigation à l’expérience acquise et constatée par les forces françaises. Cependant, entendue dans au sens large, le Retex s’intéresse aussi aux conflits où la France n’est pas engagée.  On peut se souvenir des regrets exprimés après la guerre de 1870 : pourquoi n’avait-on pas mieux étudié la guerre de Sécession quelques années plus tôt ? Cependant, que sait-on vraiment du conflit au Yémen où tant d’équipements français sont engagés ? Que nous enseigne le retour d’expérience du conflit russo-ukrainien ? Qui peut décrire l’engagement de robots en Syrie et témoigner de leur efficacité si tant est que tout soit vrai ? Sur quel rapport fiable peut-on se fonder ? Or ces théâtres ont vu l’engagement de masses blindées importantes dans des affrontements longs et de haute intensité. L’expérience manquant de facto à l’armée de Terre, le Retex ne peut être alors obtenu que par deux moyens : la simulation informatique ou le recourt à des démonstrateurs. Dans tous les cas, les caractéristiques des équipements ne peuvent qu’être que conjecturées, les mises en situation opérationnelles que l’objet des plus grandes précautions et les résultats reçus avec le plus grand scepticisme.

 

L’adaptation des équipements déployés sur les théâtres d’opération bénéficie donc de processus bien encadrés et bien rôdés depuis la fin des opérations en ex Yougoslavie : directives sur le Retex, instruction générale 125/1516, instructions sur l’urgence opérationnelle. Ce cadre réglementaire permet de définir les rôles de chacun mais surtout posent l’EDPI comme la solution de coordination entre Armée de Terre et DGA par l’intégration physique des hommes dans des structures pérennes. Pérennes car liés à des programmes d’armement existants. Cette même structure permet l’élaboration du besoin prospectif toujours dans le cadre de programmes d’armement à venir et intègre les nouveaux enseignements grâce aux conclusions tirées des OER. Enfin, le Retex des conflits étrangers devient un objet d’attention dans un monde où les conflits gagnent en intensité et s’accumulent proportionnellement aux budgets militaires des grandes puissances.

 

    
Bruno Demesy, Colonel, Responsable du Retex à la STAT
Saint-Cyrien de la promotion général Monclar (84-87). Affecté au 13e RDP en 1988, il continue sa carrière dans le domaine du renseignement en état-major et à la DRM. Il est responsable du Retex à la STAT depuis 2015 et à ce titre veille à l’adéquation des capacités et des besoins en OPEX et tente d’identifier les menaces futures.
 

Auteur

Bruno DEMESY

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