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Pour évoluer en toute sécurité dans la 3e dimension, il faut vite percuter (au sens figuré bien sûr) !
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01 juin 2016

Un espace aérien unique et partagé
L’irruption de la troisième dimension dans le combat terrestre

Sur le champ de bataille, de nombreux aéronefs et projectiles amis ou ennemis circulent au-dessus des têtes des combattants au sol. Comment s’organiser  pour éviter les interférences tout en permettant les initiatives locales ? Une coordination au travers d’une organisation s’appuyant sur des moyens techniques est indispensable. Elle doit cependant encore progresser vers une véritable intégration de l’ensemble des mobiles de la 3ème dimension dans la manœuvre globale.


Aujourd’hui, toute opération est par essence interarmées, et généralement réalisée dans un cadre international. Ainsi, elle exploite la troisième dimension pour la projection des forces, du renseignement, des actions de défense aérienne, d’appui aux forces au sol… Potentiellement, un nombre important de vecteurs des différentes composantes de la force interarmées évoluent dans l’espace aérien. Une coordination entre ces vecteurs, appelés les intervenants de la troisième dimension (I3D), doit donc être mise en place. Moyens de l’armée de Terre, de l’armée de l’air, de la marine nationale ou des forces spéciales, ce sont des hélicoptères d’attaque et de manœuvre, des drones de tous types, mais aussi des obus d’artillerie (mortiers, Caesar), des roquettes (LRU), des missiles de croisière, anti-aériens, des avions de combat et de guet aérien…

Cette coordination (CI3D) se doit d’être globale tout en préservant la liberté d’action du niveau tactique, au contact sur le terrain. En planification et en conduite, ses objectifs principaux sont de :

  • renforcer l’efficacité globale des actions militaires conduites depuis et dans le milieu aérien,
  • minimiser les risques d’actions fratricides liés à l’utilisation de cet espace (dommages aux forces au sol ou aux moyens aériens amis).

 

Une doctrine et des moyens nécessaires

La responsabilité de l’organisation et de la gestion de l’espace aérien relève du commandant de la force, responsabilité normalement déléguée au commandant de la composante aérienne. La doctrine interarmées 3.3.5 publiée par le Centre Interarmées de Concepts, Doctrines et Expérimentations (CICDE) en décrit les principes. La compréhension mutuelle pour éviter les divergences d’interprétation entre des armées aux cultures différentes y joue un rôle important.

En planification, les composantes font remonter leurs besoins des niveaux inférieurs vers le niveau opératif en fonction des actions qu’elles prévoient. A l’issue de la planification et après d’éventuels arbitrages, un ordre de coordination de l’espace aérien alloue des zones aux acteurs. Délimitées géographiquement, en altitude ou hauteur et réparties par tranches temporelles, elles sont assorties de règles d’utilisation permissives ou contraignantes suivant le cas. Par exemple, sur un théâtre demeuré ouvert au trafic civil, un plafond pour les tirs d’artillerie pourra être fixé pour permettre à l’aviation civile de survoler la zone en sécurité, mais limitera d’autant la portée de l’artillerie.

Pour l’armée de Terre, les cellules d’appui 3D, réparties aux différents niveaux d’exécution, coordonnent l’activité des I3D terrestres dans les zones allouées. Cependant, comme tout ne peut pas être prévu en planification, en fonction de l’évolution de la situation, il faut adapter en conduite et de façon réactive le dispositif. Des zones peuvent être activées ou désactivées, des appuis aériens au profit de forces au sol au contact demandés. Mixant alors les activités des composantes terrestre et aérienne, un dialogue serré et une étroite coordination entre les intervenants des différentes chaines opérationnelles sont impératifs et rendus plus efficaces s’il existe en temps réel une vision commune de l’occupation de l’espace aérien et de la situation tactique. Celle-ci nécessite l’acquisition et le partage d’une multitude d’informations issues des moyens de détection s’il y en a, des radars notamment, voire des vecteurs aériens eux-mêmes s’ils sont équipés de liaison de données tactiques (principalement la L16), et des moyens de synthèse et d’exploitation pour les traiter. Ce partage automatique est rendu possible par la construction d’un réseau numérique reliant l’ensemble des éléments cités. Il permet d’avoir une visualisation de la situation aérienne générale commune du niveau opératif (interarmées) au niveau tactique terrestre et donc de pouvoir adapter le dispositif opérationnel. Ainsi, le Centre de Management de la Défense dans la 3ème Dimension (CMD3D), développé initialement dans le programme Martha puis fusionné avec SCCOA1, assure un rôle de synthèse important vis-à-vis des I3D de l’armée de Terre. Il est interopérable avec le système ATLAS de l’artillerie, SICF, SCV (Système de Commandement en Vol) et Sitalat (Système d’Information Terminal de l’ALAT). Il dispose d’une liaison directe avec les stations sol des drones et surtout d’une capacité L16 lui permettant d’envoyer la situation locale et de recevoir les informations de l’autorité de gestion de l’espace aérien.

La définition et la construction de ce réseau global, du tactique à l’opératif, sont des phases complexes car elles doivent prendre en compte l’ensemble des configurations possibles du point de vue technique (multiplicité des acteurs et des équipements, cas de panne) et du point de vue du déploiement opérationnel (spécificités géographiques et étendue de la zone d’opération nécessitant d’éventuels relais satellites, répartition morcelée des moyens…)

De plus, il y a des interactions entre cette architecture et l’organisation associée du commandement. C’est pourquoi, la méthode de développement principalement employée a été celle des Laboratoires Technico Opérationnels (LTO). Ils regroupent en un même lieu, les acteurs opérationnels et industriels travaillant à partir de scénarios plus ou moins complexes, avec des simulations de moyens pouvant aller jusqu’à des simulations hybrides. Ce travail se poursuit aujourd’hui, afin d’intégrer l’arrivée progressive des différents équipements.

 

On peut faire encore mieux

Même si la CI3D est une réalité depuis longtemps, son optimisation reste une problématique d’actualité, en France comme chez nos alliés. C’est ainsi que CICDE et CPOIA (commandement pour les opérations interarmées) viennent d’être chargés de rédiger une publication interarmées traitant spécifiquement de ce sujet. Y sera développée la notion d’ « Air Land Integration »(ALI), définie comme « l’ensemble des processus mis en œuvre au niveau tactique, en planification comme en conduite, pour combiner les activités des forces aériennes et des forces terrestres (conventionnelles et spéciales) en vue d’optimiser la manœuvre interarmées ». Il s’agit là d’améliorer la synergie entre forces terrestres et aériennes voire maritimes (on parle alors d’Air Surface Integration/ASI) en substituant à la simple coordination entre composantes, une véritable intégration de leurs manœuvres respectives, pour une meilleure efficacité globale et une utilisation optimisée et nécessairement partagée de l’espace aérien. Le retour d’expérience des engagements actuels montrant la nécessité d’accélérer le tempo des opérations, en particulier dans un contexte de menaces asymétriques, et les nouvelles possibilités offertes par la technologie, poussent vers cette intégration nécessaire à l’optimisation des effets. Les contraintes budgétaires réduisant les formats rendent également cette démarche impérative mais crispent aussi les discussions entre les armées. Cela permettra peut-être d’identifier de nouveaux modes d’actions réactifs, en limitant le mode d’utilisation des moyens sous l’angle « propriétaire » d’une composante et en étudiant toutes les opportunités offertes par les équipements.

 

1) Système de Commandement et de Conduite des Opérations Aériennes

 

    
Patrick Niec, IGA, Directeur adjoint du CICDE
Après un parcours aéronautique (centre d’essais en vol, responsable de l’intégration des armements air-sol, puis des programmes des avions de combat de l’armée de l’air), il a élargi sa vision en devenant le 1er architecte du système de forces Engagement Combat et enfin directeur de deux centres techniques de la DGA du domaine naval à Toulon et à Brest.
 

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