COMBATTRE AU LABORATOIRE
LA RECHERCHE DE DÉFENSE À L’INSTITUT POLYTECHNIQUE DE PARIS
« Le soldat combat au front, le savant au laboratoire. La guerre ne se fait pas sans la science », c’est ce qu’on peut lire sur une affiche de propagande française de 1918. Avec la multiplication des ruptures technologiques et le retour de la guerre en Europe, ces affirmations semblent toujours d’actualité. La création du Centre Interdisciplinaire d’Etudes pour la Défense et la Sécurité (CIEDS) au sein de l’institut Polytechnique de Paris y fait écho.
Après ma formation par la recherche, je me suis demandé comment mettre à profit ce parcours permettant à de jeunes IA d’acquérir une expérience de recherche de trois ans dans un laboratoire. Les liens entre le monde de l’armement et celui de la recherche sont nombreux : tous deux se placent aux frontières de la connaissance et manipulent des technologies de rupture. Le rôle moteur de la défense dans l’innovation et la recherche est bien connu, en témoigne le budget de la DARPA qui dépasse les 4 milliards de dollars en 2023.
Si l’on pense au chercheur lui-même, l’histoire et la fiction nous fournissent quelques figures emblématiques, comme le physicien Oppenheimer dont le rôle dans le projet Manhattan vient d’être porté à l’écran. Le physicien français Paul Langevin conçoit quant à lui les premiers sonars entre 1916 et 1918 au sein de la direction des inventions intéressant la défense nationale, ancêtre de l’AID. Pourtant, la défense et la recherche sont aujourd’hui deux écosystèmes distincts, qui se connaissent encore trop peu, méconnaissance qui a pu par le passé générer une certaine défiance réciproque.
Le CIEDS, un outil à l’interface entre recherche et défense.
L’Institut Polytechnique de Paris (IP Paris) réunit cinq écoles d’ingénieurs du plateau de Saclay : l’École polytechnique, ENSTA Paris (deux écoles sous tutelle du ministère des Armées), Télécom Paris, Télécom SudParis et l’ENSAE Paris. Créé en 2021 au sein d’IP Paris, notamment sous l’impulsion d’Yves Laszlo, le CIEDS a pour but d’imaginer et de développer des réponses aux besoins technologiques du secteur de la défense.
Le CIEDS organise un appel à projets annuel qui recueille les propositions de chercheurs d’IP Paris qui pensent que leurs recherches pourraient présenter un intérêt pour la défense. Les propositions sont étudiées par l’AID, et si le projet est choisi, s’ensuit une phase de co-construction entre le chercheur et son correspondant à l’AID, pour un début de projet moins d’un an après. Cette phase de co-construction est essentielle pour affiner la première proposition, à l’initiative du chercheur, et la mettre en adéquation avec les besoins des armées. Une douzaine de nouveaux projets sont ainsi sélectionnés et co-construits chaque année.
Le point de vue de l’AID, par David Foricher, ICA
Si le ministère des Armées finance depuis de nombreuses années la recherche dans les écoles sous sa tutelle par des « projets écoles », le CIEDS constitue un nouveau modèle. Grâce à un investissement de 10M€/an, ce centre renforce la coordination entre les écoles concernées et l’AID, dans la construction des projets, dans leur suivi et dans leur valorisation sur le long terme, tout en contribuant plus largement à la sensibilisation aux questions de défense des chercheurs et des étudiants des écoles concernées, ainsi que dans leur formation pour répondre aux besoins de notre industrie de défense. Dans cette coordination, l’équipe opérationnelle du CIEDS joue un rôle essentiel, en soutien des responsables innovation de l’AID en charge des domaines scientifiques et de la communauté des chercheurs des écoles de l’IP Paris.
Développer les technologies de rupture pour la défense.
Le CIEDS mobilise les compétences présentes dans 25 laboratoires d’IP Paris, dans toutes les disciplines scientifiques, pour mener des projets de recherche de pointe dans des domaines d’intérêt pour la défense.
Les matériaux développés par le projet COMPOSITES, à la fois légers et absorbants, pourraient servir à l’équipement des combattants et des véhicules.
En 2023, 120 chercheurs et enseignants-chercheurs permanents d’IP Paris sont impliqués dans 60 projets en cours, et 40 thèses de doctorat sont financées. Le CIEDS est fortement soutenu par l’AID, qui finance ces projets d’envergure impliquant plusieurs doctorants, post-doctorants ou ingénieurs, réunis autour d’une même thématique à forte valeur ajoutée pour la défense sur une durée d’environ 4 ans.
Les projets en cours, souvent interdisciplinaires, couvrent l’ensemble des domaines scientifiques traités à IP Paris : matériaux, plasmas, lasers, chimie, biologie, intelligence artificielle, cybersécurité, quantique, management de l’innovation... Ainsi, des chercheurs du laboratoire de physique de la matière condensée à l’X, de l’unité de chimie et procédés à l’ENSTA et du laboratoire de synthèse organique collaborent pour développer des alternatives à l’utilisation des perfluorés pour les traitements des textiles des treillis. Un autre projet qui étudie l’algorithmique des essaims de robots mutualise les compétences des laboratoires d’informatique de l’X, de l’ENSTA et de Télécom. Le projet COMPOSITES, mené au laboratoire de mécanique des solides de l’X, vise quant à lui à concevoir et fabriquer des matériaux architecturés par fabrication additive pour optimiser leurs capacités d’absorption des chocs (Figure 1).
Rapprocher les communautés.
Co-dirigé par François Plais, directeur des opérations, et David Filliat (ICA), directeur scientifique, le CIEDS dispose aujourd’hui d’une équipe opérationnelle de 6 personnes qui organise les appels à projets, accompagne les chercheurs, développe des partenariats et soutient la valorisation des résultats scientifiques. S’ajoute aux projets de recherche une seconde mission : celle d’instaurer au sein d’IP Paris une très large prise en compte des enjeux de défense. Ce volet d’acculturation a notamment permis la création d’un cycle de conférences sur l’innovation de défense ouvert aux étudiants et chercheurs, d’un challenge étudiant sur les essaims de drones, ainsi que d’un module de formation des doctorants dédié aux questions de souveraineté, destiné à terme à s’étendre au cycle ingénieur polytechnicien. Enfin, le CIEDS a vocation à favoriser les liens entre communautés académique et de défense. Ainsi, le 29 juin 2023 a eu lieu l’Opération CIEDS, un forum d’échanges entre chercheurs, industriels et représentants du ministère des Armées, qui a réuni 250 participants (Figure 2).
Vers un passage à l’échelle
Pour bénéficier aux forces, les technologies développées dans les laboratoires doivent être transférées dans l’industrie, via la création d’une startup, ou via une collaboration avec une entreprise existante. Le CIEDS est ainsi associé à la SATT Paris-Saclay (Société d’Accélération du Transfert de Technologies), qui accompagne les dépôts de brevets et la montée en maturité des projets duaux. Un projet de recherche mené au laboratoire de physique des plasmas, soutenu depuis plusieurs années par l’AID, a par exemple permis de développer des dispositifs médicaux à plasmas froids pour la cicatrisation des plaies cutanées et des brûlures sévères. Ces travaux ont donné lieu à la création de la startup Plasana Medical, qui s’adresse également au marché civil des plaies chroniques.
Pour poursuivre sa montée en puissance, le CIEDS cherche à développer de nouveaux partenariats industriels, avec de grands acteurs de la BITD, mais aussi avec des PME et des startups. Le soutien existant de l’AID pourra servir de levier pour amplifier les financements et mutualiser les efforts. Les opportunités de collaborations sont nombreuses : thèses CIFRE, laboratoires communs, projets soutenus par le fonds européen de défense... Ainsi 2023 a vu le lancement à IP Paris d’une chaire d’enseignement et de recherche sur l’architecture des systèmes complexes, associant Dassault Aviation, Dassault Systèmes, Naval Group, Nexter et l’AID.
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